Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement de la République Démocratique du Congo le 12 septembre 2024. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.
Depuis l’envoi de la communication, la Rapporteuse spéciale a appris avec effroi l’assassinat le 15 novembre 2024 de la défenseuse des droits humains Nyiramudasumba Aimé et de sa fille âgée de cinq ans par des membres d’un groupe armé. Ses collègues, les défenseuses des droits humains Nabeza Kimoka, Aline Uwineza et Queen Nabeza, continuent de recevoir des menaces de mort et sont une nouvelle fois contraintes à la clandestinité. La Rapporteuse spéciale est en lien avec le gouvernement de la RDC à propos de ces cas.
Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.
CONTEXTE
Sujet : les menaces de mort et la tentative d’assassinat à l’encontre de quatre défenseuses des droits humains, ayant causé la mort de la sœur de l’une d’elles.
Mmes Nabeza Kimoka, Aline Uwineza, Queen Nabeza et Nyiramudasumba Aimé sont défenseuses des droits humains et animatrices au sein de “Tous pour la Paix et la Cohésion Sociale”, une organisation à but non lucratif fondée par des femmes de la communauté Banyamulenge. L’organisation mène des activités de consolidation de la paix, de promotion de la cohésion sociale et des droits humains auprès des différentes communautés congolaises et opère dans les hauts et moyens plateaux du territoire de Fizi, dans la province du Sud-Kivu. Depuis le mois de janvier 2024, l’organisation Tous pour la Paix et la Cohésion Sociale et ses membres sont la cible d’intimidations, de menaces de mort et de violentes attaques.
Mlle Bipemacho Shukurada, âgée de 14 ans, est la sœur cadette de la défenseuse des droits humains Mme Nyiramudasumba Aimé.
Les défenseuses des droits humains Mmes Nabeza Kimoka, Aline Uwineza, Queen Nabeza et Nyiramudasumba Aimé ont fait l’objet d’une communication précédente, envoyée par des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales le 30 mai 2024 (AL COD 5/2024). La communication faisait état de préoccupations face à l’enlèvement et les violences commises à l’encontre des quatre défenseuses des droits humains et de membres de leurs familles, et les menaces et intimidations contre leur organisation. Nous déplorons que le gouvernement n’ait pas répondu à cette dernière communication.
Par ailleurs, plusieurs communications ont été envoyées au gouvernement de la RDC concernant des allégations de menaces, d’attaques et d’assassinats contre des défenseurs et défenseuses des droits humains et des membres de leurs familles, notamment les plus récentes AL COD 7/2024, AL COD 3/2024, AL COD 4/2024, AL COD 2/2024, AL COD 2/2023, AL COD 1/2023. Au moment de la rédaction de cette lettre, aucune réponse n’a été reçue à ces communications. Nous encourageons le gouvernement de la RDC à examiner attentivement les faits allégués dans le cadre de la présente et des précédentes communications, et à fournir des réponses détaillées aux titulaires de mandat, en vue de remédier à toute potentielle violation des obligations de l’État en vertu du droit international relatif aux droits humains.
ALLÉGATIONS
Le 7 août 2024, aux alentours de 5 heures du matin, deux hommes identifiés comme faisant partie du groupe armé Biloze Bishambuke, se sont introduits au domicile de Mme Nyiramudasumba Aimé, lui-même proche des domiciles de Mmes Nabeza Kimoka, Aline Uwineza et Queen Nabeza, dans le village de Rugezi. Les assaillants ont ouvert le feu à l’intérieur de la maison, causant la mort de la sœur cadette de Mme Nyiramudasumba Aimé, Mlle Bipemacho Shukurada, avant de prendre la fuite.
Depuis l’attaque, les défenseuses et animatrices au sein de Tous pour la Paix et la Cohésion Sociale ont à nouveau reçu des appels d’intimidations ainsi que des menaces de mort. Elles ont dû recommencer à vivre dans la clandestinité pour leur sécurité.
Les autorités locales, bien qu’informées de la situation et en contact avec les défenseuses des droits humains de Tous pour la Paix et la Cohésion Sociale, ne semblent pas en mesure d’assurer leur protection.
L’organisation a été contrainte de réduire ses activités de promotion des droits humains dans plusieurs villes et villages en raison des attaques physiques et menaces à l’encontre de ses membres.
Le 22 août 2024, des membres de groupes armés non identifiés ont incendié les maisons des parents de deux défenseuses, Mmes Queen Nabeza et Nyiramudasumba Aimé, dans le village de Nyangebyuma. Ces derniers étant absents au moment de l’incident, aucune victime humaine n’est à déplorer.
PRÉOCCUPATIONS
Dans la communication, nous exprimons notre grave préoccupation quant à l’assassinat de Mlle Bipemacho Shukurada par des membres présumés du groupe armé Biloze Bishambuke, qui semble être en lien avec le travail de défenseuse des droits humains de sa sœur, Mme Nyiramudasumba Aimé.
Nous exprimons également notre forte préoccupation quant à la tentative d’assassinat à l’encontre des défenseuses des droits humains Nabeza Kimoka, Aline Uwineza, Queen Nabeza et Nyiramudasumba Aimé, menée à leurs domiciles dans le village de Rugezi, ainsi qu’aux menaces de mort persistantes proférées à l’égard des défenseuses des droits humains par des membres présumés de groupes armés locaux. Il est alarmant que ces menaces semblent être en lien avec leur travail de défenseuses des droits humains et l’exercice de leurs droits à la liberté d’expression, y compris le droit de recueillir et disséminer des informations dans le domaine des droits humains, et d’association.
Nous sommes gravement préoccupés par le fait que cet assassinat et ces menaces de mort interviennent dans un contexte d’attaques et menaces croissantes envers les défenseuses et défenseurs des droits humains et leurs familles dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Dans son rapport au Conseil des Droits de l’Homme en 2021 (A/HRC/46/35), la Rapporteuse Spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme a souligné le lien entre le meurtre de défenseurs des droits humains et les menaces de mort, notant que « Toutes les menaces de mort proférées contre les défenseurs des droits humains ne sont pas suivies de meurtres. De même, de tels meurtres ne sont pas systématiquement précédés de menaces de mort. En revanche, de nombreuses exécutions sont précédées de menaces ». Par ailleurs, une affaire dans laquelle un défenseur des droits humains a été assassiné à la suite de menaces de mort qu’il avait reçues a fait l’objet d’une communication au Gouvernement de la RDC (COD 2/2023). Dans son dernier rapport thématique présenté à l’Assemblée Générale (A/78/131), la Rapporteuse Spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme énonce que « les défenseuses des droits humains qui travaillent dans des situations de conflit, d’après-conflit ou de crise font face à des risques multiples dans des contextes extrêmement difficiles, souvent en l’absence de mécanismes de protection étatiques efficaces ». Elle recommande aux États d’« adopter et mettre en œuvre des lois et des politiques de protection des défenseurs et défenseuses des droits humains qui tiennent compte des questions de genre dans les situations de conflit, d’après-conflit ou de crise ».
Nous exprimons nos plus graves inquiétudes quant à l’apparente absence d’action ou de mesures de protection de la part du Gouvernement de la RDC pour assurer la sécurité de Mmes Nabeza Kimoka, Aline Uwineza, Queen Nabeza et Nyiramudasumba Aimé et de leurs familles.