Togo : arrestation et détention arbitraire des défenseurs des droits humains René Koffi Missode et Foly Satchivi (communication conjointe)

Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement du Togo le 3 septembre 2025. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.

A ce jour, M. Satchivi et M. Missode sont toujours détenus. M. Missode n’a toujours pas reçu de soins médicaux et son état de santé s’est détérioré depuis son arrestation il y a plus de cinq mois. M. Missode a également écrit une lettre ouverte au président Gnassingbé le 30 octobre 2025, appelant à la libération de 49 jeunes militants détenus à la prison civile de Lomé.

Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.

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CONTEXTE

Sujet : les violations des droits humains commises contre les défenseurs et militants des droits humains, M. René Koffi Missode et M. Foly Satchivi, notamment les arrestations arbitraires, les détentions, la torture, les disparitions forcées et les campagnes de diffamation, qui semblent être des représailles directes contre le soutien public des militants aux manifestations au Togo les 5-6 juin et 25-28 juin 2025.

M. René Koffi Missode, également connu sous son pseudonyme « À votre avis », est un défenseur des droits humains et un créateur de contenu en ligne. Son travail se concentre sur la justice et le changement politique au Togo.

M. Foly Satchivi est le leader et le porte-parole du mouvement des droits humains « En Aucun Cas ». Il est responsable de sensibiliser les Togolais aux questions des droits humains au Togo, en particulier dans les zones rurales. Son objectif est d’engendrer une transformation sociopolitique pacifique au Togo par le biais de manifestations pacifiques. M. Satchivi a fait l’objet d’une précédente communication envoyée le 24 octobre 2018 (AL TGO 3/2018), pour laquelle nous avons reçu une réponse du gouvernement le 4 janvier 2019.

ALLÉGATIONS

Concernant M. René Koffi Missode

Dans la soirée du 27 juin 2025, M. Missode a animé une émission en direct sur la plateforme de média social TikTok, où il a couvert les manifestations pacifiques contre les violations des droits humains et la stagnation politique au Togo. Il a dénoncé les conditions socio-économiques désastreuses, la détention arbitraire de défenseurs des droits humains et la réaction violente de la police aux manifestations pacifiques, qui auraient conduit à des exécutions extrajudiciaires de certains manifestants et causé des blessures à d’autres. Dans une émission diffusée le 26 juin 2025, il a également critiqué le Premier ministre du Togo, Faure Gnassingbé.

Alors qu’il animait l’émission en direct le 27 juin 2025, une cinquantaine d’individus masqués en uniforme noir ont pénétré de force dans la maison de M. Missode. Ils étaient armés d’armes à feu, de fusils à gaz, de cordes et de matraques. Pendant près d’une heure, des individus masqués ont frappé M. Missode, son petit frère et l’employée de maison de sa sœur, à coups de corde et de matraque. Par la suite, il a été emmené dans un endroit ressemblant à un poste de police, où ils ont été interrogés sur leur identité.

M. Missode a ensuite été cagoulé et emmené dans un lieu inconnu, où il a été menotté et suspendu au plafond pendant la nuit. Il est resté cagoulé et ses pieds ne touchaient pas le sol. En raison de ces circonstances et de son asthme, M. Missode a éprouvé de graves difficultés respiratoires.

Le 28 juin 2025, au même endroit inconnu, trois hommes auraient torturé M. Missode en lui infligeant des décharges électriques à l’aide d’une chaise électrique et en le frappant avec des cordes. Les hommes lui ont demandé « Tu vas dire ce qu’on veut entendre ou on continue avec la violence et la douleur ? » L’un des hommes a dit « Un cadeau de la part du chef, celui dont tu dis ne pas avoir peur », faisant référence à le Premier ministre Faure Gnassingbé, que M. Missode avait critiqué dans son émission. M. Missode a avoué sous la contrainte qu’il était soutenu financièrement par le mouvement Train de la Liberté. Par la suite, il a de nouveau été suspendu au plafond pendant la nuit jusqu’au 29 juin 2025, menotté mais sans cagoule.

M. Missode a été détenu au secret pendant sept jours dans un lieu inconnu, avant d’être emmené à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) à Lomé le 4 juillet 2025. Là, il a été autorisé à recevoir la visite de ses proches et de ses avocats.

Le 9 juillet 2025, un juge d’instruction a inculpé M. Missode de « trouble aggravé à l’ordre public », d’« atteintes à la sûreté intérieure de l’État » et d’« incitation à la révolte populaire ». Il a ensuite été transféré à la prison civile de Lomé, où il serait toujours détenu.

Le 22 août 2025, M. Missode a été placé en cellule disciplinaire pendant deux jours pour possession d’un téléphone portable. À l’issue de cette période, des agents des forces de l’ordre en civil ont extrait M. Missode de sa cellule disciplinaire et l’ont emmené vers un lieu inconnu. Le 25 août 2025, un proche de M. Missode s’est rendu à la prison civile de Lomé pour lui rendre visite. Des agents l’ont alors informé que M. Missode ne se trouvait plus à la prison, mais « à la gendarmerie située près du carrefour Bodjona », ce qui pourrait correspondre au Service central de recherches et d’investigation criminelle (SCRIC) de Lomé. Cependant, aucun élément ne permet de confirmer sa localisation, ses proches et son avocat n’ayant pas pu le joindre depuis le 22 août 2025.

Du 9 juillet au 22 août 2025, bien qu’il ait été autorisé à recevoir la visite de membres de sa famille et d’avocats, ses demandes d’accès à des soins médicaux ont été rejetées. Par conséquent, les blessures qu’il a subies après avoir été torturé n’ont pas été examinées et, selon le médecin de sa famille, son état de santé est critique et M. Missode a besoin de soins médicaux d’urgence. La demande de rendez-vous médical de sa famille a été rejetée au motif que seul le procureur peut autoriser la visite d’un médecin et qu’une telle demande devait être présentée par un avocat.

Concernant M. Foly Satchivi

Le 26 juin 2025, M. Satchivi a publié sur les réseaux sociaux une vidéo appelant à soutenir les manifestations pacifiques. Il a déjà publié plusieurs vidéos similaires. Par la suite, M. Satchivi a reçu plusieurs menaces anonymes, ce qui s’est apparenté à une campagne publique de diffamation incitant à la violence à son encontre.

Le 7 juillet 2025, M. Satchivi a été arrêté sans mandat à son domicile de Lomé par cinq agents cagoulés et armés de la DCPJ. Il a été menotté et contraint de monter dans un véhicule, où il a été frappé à plusieurs reprises avant d’arriver à la DCPJ. Il s’agit de la troisième arrestation de M. Satchivi en lien avec son travail pacifique en faveur des droits humains. Après avoir été détenu à la DCPJ pendant cinq jours et sa première comparution devant le procureur, il a été déféré à la prison civile de Lomé, où il est toujours détenu. Il est détenu dans la cellule « Isole 21 », d’environ 4 m. sur 1,5 m., partagée avec dix autres détenus, disposant d’un espace de 30 cm pour s’allonger. M. Satchivi a été accusé de « diffusion de fausses nouvelles », de « trouble à l’ordre public » et d’ « incitation à la révolte ». Les accusations sont basées sur une vidéo dans laquelle il appelle à participer aux manifestations.

M. Satchivi a demandé une mise en liberté provisoire, mais le juge l’a renvoyée en examinant son dossier au sein de la cour d’appel, suite aux recours interjetés contre le rejet de sa demande. Son dossier est traité avec ceux d’autres personnes interpellées lors des manifestations de juin. Lors de sa dernière audience, ses avocats n’étaient pas présents.

Concernant le travail en faveur des droits humains au Togo lors des manifestations

Dans le contexte des manifestations au Togo en juin 2025, les défenseurs des droits humains ont été confrontés à des obstacles croissants dans l’exercice de leurs activités en faveur des droits humains. Les données montrent que l’accès aux médias sociaux et aux plateformes de communication était sévèrement limité du 26 au 30 juin 2025. Selon certaines informations, les autorités togolaises auraient délibérément restreint l’accès aux plateformes de communication telles que Signal et Telegram. Cette restriction a empêché les défenseurs des droits humains de surveiller, de documenter et de signaler les violations des droits humains commises au plus fort des manifestations du 25 au 28 juin 2025. Ces violations comprennent le meurtre d’au moins sept civils, dont un mineur de 15 ans, 21 cas de torture et 130 détentions arbitraires, dont des journalistes et des défenseurs des droits humains.

PRÉOCCUPATIONS

Dans cette communication, nous exprimons notre profonde préoccupation face aux allégations d’arrestation et de détention arbitraire de M. Missode et de M. Satchivi, ainsi que de la torture et du refus ultérieur de soins médicaux de M. Missode en détention.

Nous sommes particulièrement préoccupés par l’allégation de la disparition forcée continue de M. Missode, malgré la prohibition absolue et de nature jus cogens de la disparition forcée, et les articles 1, 2, 12, 17, 18, 19, 20, 21 et 24 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ratifié le 21 juillet 2014, notamment en ce qui concerne le droit de signaler une disparition, l’obligation de mener une enquête approfondie et impartiale, l’interdiction de la détention secrète, le droit d’obtenir des informations et le droit à un recours effectif. En ce sens, nous soulignons que, selon le droit international, tout manquement ou refus des autorités de reconnaître la privation de liberté constitue une disparition forcée, quelle que soit la durée ou les méthodes utilisées pour dissimuler la détention. En conséquence, les autorités étatiques ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection effective des droits des personnes privées de liberté et prévenir tout dommage irréparable à leur bien-être physique et psychologique. Nous regrettons que le cas de M. Missode semble également viser à produire un effet dissuasif comparable – visant à décourager et délégitimer les activités légitimes des droits humains.

À cet égard, nous tenons à rappeler que la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées établit que tous les actes de disparition forcée constituent des crimes passibles de peines appropriées compte tenu de leur extrême gravité (article 4), La Déclaration stipule ainsi l’obligation de prévenir des disparitions forcées et stipule, également, que « le droit à un recours judiciaire rapide et efficace, pour déterminer l’endroit où se trouve une personne privée de liberté ou son état de santé et/ou pour identifier l’autorité qui a ordonné la privation de liberté ou y a procédé, est nécessaire » pour prévenir la récurrence de ces actes (article 9). La Déclaration stipule en outre que toute personne ayant connaissance d’une disparition forcée ou ayant un intérêt légitime à le faire aurait le droit de porter plainte auprès d’une autorité compétente et indépendante de l’État et de voir cette plainte faire l’objet d’une enquête rapide, approfondie et impartiale de la part de cette autorité. À cet égard, des mesures doivent être prises pour veiller à ce que toutes les personnes impliquées dans l’enquête, y compris le plaignant, les avocats, les témoins et les personnes chargées de l’enquête, soient protégées contre les mauvais traitements, l’intimidation ou les représailles et à ce que toute forme d’ingérence à l’occasion du dépôt d’une plainte soit sanctionnée de manière appropriée (article 13).

Dans leur Déclaration commune sur les disparitions forcées de courte durée, le Comité des disparitions forcées et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires rappellent que la durée n’est pas un critère constitutif d’une disparition forcée en droit international des droits de l’homme. Toute disparition, même brève, cause de graves préjudices aux victimes et à leurs familles, et complique leur protection. Ils soulignent qu’aucune circonstance, y compris l’instabilité politique ou l’urgence publique, ne peut justifier une disparition forcée (art. 1 de la Convention et art. 7 de la Déclaration).

En outre, dans l’étude sur les disparitions forcées et les droits économiques, sociaux et culturels, le Groupe de travail a observé que les disparitions forcées d’activistes, de défenseurs et défenseuses des droits humains ou de personnes qui promeuvent activement l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels sont utilisées comme un outil répressif pour dissuader l’exercice, la défense ou la promotion légitimes de l’exercice de ces droits. En raison de leur caractère collectif, ces mesures violent également leurs droits économiques, sociaux et culturels, les droits d’autres personnes engagées dans des activités connexes et la communauté plus large de personnes qui comptaient sur la personne disparue pour représenter et lutter pour ses droits.

Ainsi, nous souhaiterions également rappeler au Gouvernement togolais, les normes et principes fondamentaux pertinents énoncés à l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui précise que « [l]e droit de réunion pacifique est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. » En outre, nous souhaitons faire également référence à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui protège le droit à la liberté d’association.

Enfin, nous nous référons au rapport conjoint A/HRC/31/66 du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires concernant la bonne gestion des rassemblements et aux recommandations formulées dans ce rapport. Nous soulignons notamment que « les États et les organes et agents chargés du maintien de l’ordre sont tenus, en vertu du droit international, de respecter et de protéger, sans discrimination, les droits de toutes les personnes qui participent à des réunions, ainsi que ceux des observateurs et des spectateurs. Le cadre juridique qui régit le recours à la force englobe les principes de légalité, de précaution, de nécessité, de proportionnalité et de responsabilité » (para. 50).

Nous tenons à souligner que le droit à la liberté de réunion pacifique est consacré par l’article 30 de la Constitution togolaise et l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Par ailleurs, l’article 21 de la Constitution togolaise dispose que « Nul ne peut être soumis à la torture ou à d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants » et, selon le chapitre IX alinéa 1er du Code pénal togolais, tout acte de torture est puni de trente à cinquante ans d’emprisonnement.

Par ailleurs, l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible. L’observation générale n°14 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels indique que les États ont l’obligation de respecter le droit à la santé, notamment en s’abstenant de refuser ou de limiter l’accès égal de toutes les personnes, y compris les prisonniers ou les détenus, aux services de santé préventifs, curatifs et palliatifs (observation générale n°14, paragraphe 34).

Nous exprimons notre vive préoccupation quant au fait que les allégations susmentionnées semblent avoir été menées en représailles au travail pacifique de M. Missode et de M. Satchivi pour protéger et promouvoir les droits humains, y compris les droits de réunion pacifique et la liberté d’expression. Nous exprimons une nouvelle fois notre préoccupation face aux représailles présumées contre des manifestants pacifiques, notamment les arrestations arbitraires de journalistes et de défenseurs des droits humains.

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