Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement de la Guinée le 24 septembre 2024. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.
Au moment de la publication, nous sommes toujours sans nouvelles d’Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah. Les deux défenseurs sont désormais portés disparus depuis 143 jours. La Rapporteuse spéciale demeure extrêmement préoccupée par leur sort et déplore l’absence de réponse de la part de l’État guinéen.
Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.
CONTEXTE
Sujet : l’enlèvement et la disparition forcée présumée des défenseurs des droits humains Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah.
M. Oumar Sylla, alias Foniké Mangué , est défenseur des droits humains, membre de l’organisation Tournons La Page Guinée, et coordonnateur de la mobilisation du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC).
M. Mamadou Billo Bah est défenseur des droits de l’homme, coordinateur de la mobilisation du FNDC et coordinateur de Tournons La Page Guinée.
Le FNDC est un mouvement citoyen fondé en 2019 visant à protester contre l’adoption d’une nouvelle constitution permettant à l’ex-président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat présidentiel. Il rassemble des associations et organisations de la société civile, des partis politiques et des syndicats. Le 30 juillet 2022, un mandat d’arrêt aurait été lancé contre l’ensemble des responsables du FNDC. Quelques jours plus tard, un arrêté ministériel annonçait la dissolution du FNDC, le qualifiant de « groupement de fait » – une décision dont les membres du FNDC réfutent les fondements légaux.
Tournons La Page (TLP) est un mouvement qui promeut les processus démocratiques et la participation citoyenne.
M. Sylla a fait l’objet de trois communications précédentes, envoyées par des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales le 12 octobre 2022 (GIN 2/2022), le 28 juillet 2021 (GIN 2/2021) et le 12 février 2021 (GIN 1/2021). M. Bah a fait l’objet d’une communication précédente, envoyée le 7 mars 2023 (GIN 1/2023). Nous déplorons que le gouvernement n’ait pas répondu à ces communications.
ALLÉGATIONS
Le 9 juillet 2024, M. Mamadou Billo Bah, M. Oumar Sylla et un troisième membre du FNDC auraient été enlevés à leur domicile par des militaires et des membres de la gendarmerie nationales armés et encagoulés, dont certains en tenue civile. Les défenseurs des droits humains auraient été battus et trainés au sol jusqu’aux véhicules militaires. Aucun mandat d’arrêt n’aurait été présenté.
Alors que le troisième membre du FNDC aurait été libéré le lendemain, le sort de M. Bah et M. Sylla et le lieu où ils se trouvent resteraient inconnu. Ils n’auraient pas eu accès à un avocat ni à leurs familles.
Le 17 juillet 2024, le Procureur Général aurait publié un communiqué indiquant « qu’aucun organe d’enquête n’a procédé à aucune interpellation ou arrestation de qui que ce soit » et que « aucun établissement pénitentiaire du pays ne détient ces personnes faisant objet d’enlèvement. »
Le sort de M. Sylla et de M. Bah et le lieu où ils se trouvent restent inconnus.
PRÉOCCUPATIONS
Dans la communication, nous exprimons notre profonde préoccupation par les graves allégations d’enlèvement et de disparition forcée du M. Sylla et M. Bah. Si ces allégations s’avéraient confirmées, le Gouvernement de la Guinée aurait gravement violé les droits humains fondamentaux et ses engagements en matière de droit international des droits de l’homme, y compris la prohibition de disparition forcée et de détention arbitraire.
Nous rappelons que la prohibition de la disparition forcée a atteint le statut de jus cogens, et nous attirons l’attention du Gouvernement guinéen sur la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. La Déclaration établit qu’aucun État ne doit commettre, autoriser ou tolérer des actes conduisant à des disparitions forcées, et proclame que aucune circonstance quelle qu’elle soit ne peut être invoquée pour justifier des disparitions forcées.
Nous attirons l’attention du Gouvernement de la Guinée sur les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par la Guinée le 24 janvier 1978, conformément et en liaison avec l’article 2.3 qui garantissent le droit à la vie et à la liberté et à la sécurité de sa personne, et l’article 7, qui interdit la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le doit à la reconnaissance juridique, et le droit à un recours utile.
En ce qui concerne le droit à la vie, le Comité des droits de l’homme établit, dans son Observation générale numéro 36 (CCPR/C/GC/36 para. 57-58), que « le non-respect des garanties de procédure énoncées aux paragraphes 3 et 4 de l’article 9 et destinées notamment à prévenir les disparitions peut également constituer une violation de l’article 6 ». De même, le Comité observa que « La disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes et d’omissions représentant une grave menace pour la vie. Le fait de priver une personne de liberté puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable. » Il constitue donc une violation du droit à la vie ainsi qu’une violation d’autres droits reconnus par le Pacte, en particulier par l’article 7, l’article 9 et l’article 16 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique).
L’article 9 garantit le droit de toute personne à la liberté et à la sécurité, y compris l’interdiction de l’arrestation et la détention arbitraire, le droit de toute personne arrêtée d’être informée, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation, et le droit de toute personne arrêtée d’être traduite dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Nous rappelons que le Comité des droits de l’homme, dans leur observation générale n°35 (CCPR/C/GC/35), ainsi que le Groupe de travail sur la détention arbitraire, dans sa jurisprudence, ont précisé que toute arrestation ou détention d’un individu en raison de l’exercice légitime de ses droits et libertés garantis par le PIDCP peut être considérée comme arbitraire. Selon la jurisprudence du Groupe de travail sur la détention arbitraire, les défenseurs des droits humains constituent un groupe protégé dont les membres ont le droit à une protection égale de la loi en vertu de l’article 26 du Pacte. En outre, le Groupe de travail a conclu que la détention de défenseurs des droits humains en raison de leur qualité de défenseurs des droits humains est discriminatoire et, par conséquent, arbitraire.