Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement du Burkina Faso le 2 février 2024. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Le Gouvernement a répondu le 17 mai 2024.
Depuis l’envoi de la communication, M. Daouda Diallo a été libéré le 8 mars 2024.
Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.
CONTEXTE
Sujet : l’enlèvement et la disparition forcée du défenseur des droits humains M. Daouda Diallo.
Monsieur Daouda Diallo est pharmacien et défenseur des droits humains au Burkina Faso. Il est le co-fondateur et Secrétaire Général du Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des Communautés, un collectif qui documente et dénonce les violations des droits humains depuis les attaques qui sont commises au Burkina Faso depuis 2015, et lutte contre la stigmatisation des communautés dans le pays. Il est lauréat du Prix Martin Ennals en 2022. En 2022, M. Diallo a également participé, à l’invitation de l’ancienne Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, à une consultation avec des représentants de la société civile africaine afin de discuter les impacts des législations et politiques anti-terroristes dans la société civile et l’espace civique.
ALLÉGATIONS
Le 19 avril 2023, le Président de la Transition a émis le Décret 2023-0475, décrétant « la mobilisation générale et la mise en garde, pour une période de douze mois, en vue de défendre l’intégrité du territoire national, de restaurer la sécurité sur l’ensemble du territoire et d’assurer la protection des populations et de leurs biens, contre la menace et les actions terroristes. »
Le 31 octobre 2023, M. Diallo ainsi que des représentants de treize autres organisations de la société civile, allaient participer à un rassemblement pacifique afin de protester contre la détérioration de la situation économique, politique et des droits humains, et afin de commémorer le rassemblement populaire massif de 2014. Cependant, suite à de fortes pressions, de la diffamation en ligne, ainsi que des menaces et incitations à la violence, le 27 octobre 2023, les organisateurs du rassemblement ont décidé d’annuler le rassemblement qui devait se tenir quelques jours plus tard.
Les 4 et 5 novembre 2023, M. Diallo et sept autres individus issus d’organisations de la société civile, d’organisations syndicales, des défenseurs des droits de l’homme, hommes politiques et journalistes, ont été informés par les autorités de leur réquisitionnement par les forces de sécurité et de défense, conformément au Décret 2023-0475 du 19 avril 2023.
A travers leurs représentants légaux, les huit individus concernés, dont M. Diallo, ont formulé une demande de référé, visant à suspendre la convocation de conscription, ainsi qu’une procédure au fond pour l’annulation des ordres de réquisition, questionnant la légalité même de l’acte administratif.
Le 20 novembre 2023, la Cour Administrative de Ouagadougou a rejeté l’action en référé de demande de suspension de convocation. Sur la base de la loi 011-2016/AN, le juge a conclu que la Cour Administrative est incompétente pour suspendre des mesures prises pour maintenir l’ordre, la sécurité et la santé publique. Les représentants légaux de trois des personnes visées par ces conscriptions, M. Diallo exclu, ont alors entrepris des procédures d’urgence appelées « référé liberté » afin de prévenir la conscription des individus en question. L’audience s’est tenue le 6 décembre 2023. Durant cette dernière, le tribunal administratif de Ouagadougou a retenu le caractère manifestement arbitraire de ces trois ordres et a ordonné leur suspension.
En ce qui concerne la procédure au fond, elle reste en cours devant le tribunal administratif de Ouagadougou.
Le 1er décembre 2023, M. Diallo a été invité à se présenter à 15h au service de la Division de la migration de la direction générale de la police nationale dans le quartier de Goughin de Ouagadougou afin de renouveler son passeport. C’est au moment où il remontait dans son véhicule afin de partir, qu’il a été interpellé par des individus en tenue civile, présumés d’appartenir aux forces de sécurité burkinabè, lui demandant de les suivre. M. Diallo s’est alors engagé dans une course poursuite à l’issue de laquelle il a été enlevé et amené dans une destination inconnue. A ce jour, le sort et le lieu où se trouve M. Diallo demeurent encore inconnus.
PRÉOCCUPATIONS
Dans la communication, nous exprimons notre profonde préoccupation quant aux graves allégations d’enlèvement et de disparition forcée du M. Diallo. Ces allégations font également état de la réquisition de citoyens burkinabè, qui sembleraient cibler ceux exerçant leur droit à la liberté d’expression, d’opinion, d’association et de réunion, afin de garantir et promouvoir les droits humains, et ceci, de façon parfois critique face contre les actions du Gouvernement de transition violant les droits humains. En ciblant des individus qui ont ouvertement critiqué le Gouvernement de transition, la réquisition mise en place au Burkina Faso ne permettrait pas de lutter contre le terrorisme, mais de réprimer les voix dissidentes. Si ces allégations s’avéraient confirmées, le Gouvernement de votre Excellence aurait gravement violé les droits humains fondamentaux et ses engagements en matière de droit international des droits de l’homme, y compris de disparition forcée, de détention arbitraire et d’intimidation à l’encontre de M. Diallo et des défenseurs des droits humains. De plus, les allégations ci-dessus sont contraires à la législation nationale du Burkina Faso en matière de protection des défenseurs des droits humains (loi 039-2017 et le Mécanisme de Protection des Défenseurs des Droits Humains).
Nous exprimons notre préoccupation quant au fait qu’un décret destiné à lutter contre le terrorisme semblerait avoir été utilisé pour imposer la conscription obligatoire des défenseurs des droits humains. Tout en étant conscients du contexte sécuritaire fragile marqué par des attaques terroristes dans le Burkina Faso, nous rappelons que l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme exigent que toute mesure prise pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent soit conformes aux obligations des États en vertu du droit international, en particulier du droit international des droits de l’homme, du droit des réfugiés et du droit humanitaire, et respectent les principes fondamentaux de légalité, de proportionnalité, de nécessité et de non-discrimination. Nous soulignons que toute restriction à la liberté d’expression qu’un gouvernement cherche à justifier par des raisons de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme doit avoir pour but véritable et pour effet démontrable de protéger un intérêt légitime de sécurité nationale (CCPR/C/GC/34).