Tunisie: accusation et détention des défenseurs des droits des personnes migrantes Abderrazek Krimi et Mustapha Djemali (communication conjointe)

Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement de la Tunisie le 14 août 2024. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.

Depuis l’envoi de la communication, les deux défenseurs des droits humains sont toujours détenus. M. Djemali se serait également vu refuser l’accès à ses médicaments.

Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.

Lire la communication complète

CONTEXTE

Sujet : l’accusation et la détention des défenseurs des droits humains, Abderrazek Krimi et Mustapha Djemali.

M. Abderrazek Krimi est un défenseur des droits des personnes migrantes, chef de projet au Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), une organisation non gouvernementale créée en 2016 et axée sur la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés en coopération avec l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).

M. Mustapha Djemali est un défenseur des droits des personnes migrantes, et le directeur du CTR et ancien directeur régional de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Il a 80 ans.

ALLÉGATIONS

Le 2 mai 2024, le Ministre de l’Intérieur de la Tunisie a tenu une réunion de coordination de haut niveau avec ses homologues d’autres pays de la région méditerranéenne, portant sur la coopération conjointe en matière de migration irrégulière.

Dès le 3 mai 2024, les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé des centaines de migrants et de réfugiés, dont des enfants, des femmes enceintes et des demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR, qui campaient dans un parc public à proximité des bureaux de Tunis de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du HCR.

Les attaques envers les personnes migrantes et les associations les soutenant se seraient intensifiées dès lors, avec un nombre élevé d’expulsions forcées, ainsi que des perquisitions de bureaux, arrestations et enquêtes de membres d’associations travaillant dans le domaine de la migration. Ceci a créé un climat de peur parmi les associations qui fournissent de l’assistance aux migrants, demandeurs d’asile et réfugiés, ce qui a entraîné la suspension des activités de certaines de celles-ci, laissant des centaines de personnes vulnérables dans une situation précaire.

Lors d’une réunion avec le Conseil de sécurité nationale le 6 mai 2024, le président tunisien Kais Saied a accusé les dirigeants des associations qui « viennent en aide aux migrants illégaux » de l’Afrique sub-saharienne de « recevoir d’énormes fonds de l’étranger » et d’être des « traîtres et des agents étrangers ».

Concernant Abderrazek Krimi

Le 3 mai 2024, alors qu’il était hors de Tunis, M. Krimi a reçu un appel téléphonique le convoquant au commissariat de la Brigade Criminelle El Gorjani à Tunis.

Le 4 mai, quand il s’est présenté à la Brigade Criminelle El Gorjani, il a été interrogé sur le financement étranger du CTR et sur un appel d’offres d’une société spécialisée en matière d’hôtellerie afin d’assurer l’hébergement pour un groupe de réfugiés et demandeurs d’asile. Il a expliqué que le CTR reçoit des fonds du HCR et de l’UNICEF pour des projets en partenariat, et que l’appel d’offre a été lancé après que le HCR ait contacté le CTR pour intervenir dans le cadre de la relocalisation de Sfax à Tunis d’un groupe de mineurs non accompagnés comme demandé par le gouvernorat de Sfax. Suite à la publication de l’appel d’offres en avril 2024, plusieurs médias ont publié une capture d’écran avec l’appel d’offre et une légende affirmant que le logement des réfugiés africains en Tunisie menaçait la sécurité nationale du pays.

Le 4 mai 2024, M. Krimi a été placé en garde à vue au Centre de détention de Bouchoucha et a été transféré pour interrogatoire au commissariat de police de Gorjani. Il a eu accès à ses avocats. Le 5 mai, sa garde à vue a été prolongée de 48 heures supplémentaires.

Le 7 mai 2024, M. Krimi a été présenté à un juge d’instruction pour une première comparution et un mandat de dépôt a été émis à son encontre sur la base de la formation d’un complot visant à renseigner, concevoir, faciliter, aider ou se sera entremis ou organiser par un quelconque moyen, une personne sur le territoire tunisien de manière clandestine et à l’héberger, conformément aux articles 38, 39 et 41 de la Loi n° 40 de 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage. Par la suite, M. Krimi a été transféré à la prison de Mornaguia, à 14 km de Tunis dans le gouvernorat de la Manouba. Il a été placé dans une petite cellule avec environ 120 autres détenus et a dû partager un lit dans des conditions insalubres.

Lors de cette audience, le juge d’instruction a fixé une nouvelle audience pour M. Krimi le 22 mai. Cette audience a été reportée quatre fois jusqu’à ce que M. Krimi soit entendu le 21 juin. Ce jour-là, le juge d’instruction a rejeté une demande de libération. Il reste détenu à la prison de Mornaguia.

Concernant Mr. Mustapha Djemali

Le 3 mai 2024, des dizaines de policiers en civil se sont présentés au bureau du CTR ; ils ont confisqué les téléphones portables et les ordinateurs appartenant au personnel du CTR, leurs chèques de paie et ont exigé les clés du coffre-fort du bureau. M. Djemali a été emmené au commissariat de police de Gorjani où il a été interrogé sur le financement étranger du CTR. Il a eu accès à un conseil juridique après le premier jour d’interrogatoire, qui a duré 2 jours. Il a ensuite été placé en garde à vue et informé qu’il était accusé d’avoir amené illégalement des personnes en Tunisie.

Le 7 mai, M. Djemali a été présenté à un juge d’instruction pour une audience préliminaire et mandat de dépôt a été émis à son encontre sur la base de la formation d’un complot visant à renseigner, concevoir, faciliter, aider ou se sera entremis ou organiser par un quelconque moyen, une personne sur le territoire tunisien de manière clandestine et à l’héberger, conformément aux articles 38, 39 et 41 de la Loi n° 40 de 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage. Par la suite, M. Djemali a été transféré à la prison de Mornaguia. Il a été placé dans une petite cellule surpeuplée et a dû partager un lit, le laissant épuisé, surtout compte tenu de son âge d’environ 80 ans.

Lors de l’audience du 7 mai, le juge d’instruction a fixé une nouvelle audience pour M. Djemali le 21 mai. Le 21 mai le juge d’instruction a rejeté implicitement une demande de libération soumise par ses avocats. Après 4 jours, le 25 mai, les avocats de M. Djemali ont fait appel à cette décision, mais celui-ci a été rejeté.

Par ailleurs, les trois comptes bancaires de M. Djemali ont été gelés. Ces trois comptes couvrent sa pension du HCR, sa pension suisse et son salaire reçu du CTR.

PRÉOCCUPATIONS

Dans cette communication, nous exprimons notre vive préoccupation face aux allégations concernant les accusations contre M. Krimi et M. Djemali et leur détention qui semble résulter de leur travail légitime pour la défense des droits des personnes migrantes. Nous sommes également préoccupés par le fait qu’ils soient toujours détenus sans inculpation, en contradiction avec les conventions internationales relatives aux droits humains que le Gouvernement tunisien a ratifiées.

Nous voudrions également noter que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a publiquement exprimé son inquiétude face à l’augmentation du ciblage des organisations travaillant à aider les migrants, en particulier ceux de la région subsaharienne, et face à l’arrestation arbitraire et à la détention de défenseurs des droits humains, qui sont critiques des politiques migratoires du pays.

Comme l’a rappelé la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains dans son rapport sur les défenseurs et défenseuses des droits humains travaillant sur les droits des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile soumis à l’Assemblée générale (A/77/178), ces défenseurs et défenseuses prennent de grands risques personnels et sont souvent accusés d’être des passeurs de migrants ou des agents étrangers (paragraphe 4). Le travail des défenseurs et défenseuses des droits humains et des organisations qui soutiennent les réfugiés, les migrants et les demandeurs d’asile est essentiel pour promouvoir et protéger les droits humains des migrants très vulnérables.

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