Suisse : suspension du financement de onze ONG israéliennes et palestiniennes (communication conjointe)

Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement de la Suisse le 26 décembre 2023. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Le Gouvernement a répondu le 26 février 2024.

Depuis l’envoi de la communication, la suspension de financement aurait été levée pour huit des onze ONG concernées. Pour les trois autres en revanche, le financement aurait été interrompu de façon définitive.

Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.

Lire la communication complète Lire la réponse du Gouvernement

CONTEXTE

Sujet : la suspension du financement de onze organisations non-gouvernementales, six israéliennes et cinq palestiniennes en novembre 2023, y compris l’organisation Adalah – The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel, Hamleh (ou 7amleh) – The Arab Center for Social Media Advancement, et l’organisation MIFTAH – The Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy, PCHR – the Palestinian Center for Human Rights, et l’interruption définitive du financement de trois organisations non-gouvernementales, dont PCHR – the Palestinian Center for Human Rights.

Adalah – The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel est un centre juridique israélien qui travaille à la promotion les droits humains en Israël en général, et les droits de la minorité palestinienne en particulier. L’organisation initie des actions en justice, fournit des consultations juridiques aux particuliers, organisations non-gouvernementales et institutions, organise des conférences et publie des rapports et analyses sur des questions juridiques critiques, mène une vaste campagne de sensibilisation dans les médias et sur les réseaux sociaux, et forme des apprentis juristes et avocats au contentieux et à la défense des droits de l’homme.

Hamleh (ou 7amleh) – The Arab Center for Social Media Advancement est une organisation à but non lucratif basée à Haïfa en Israël, qui s’engage à défendre et à promouvoir les droits numériques des Palestiniens. Leurs activités portent sur la documentation des violations des droits numériques des Palestiniens en ligne, le travail de recherche approfondi sur les politiques et réglementations numériques affectant les droits numériques des Palestiniens, et un travail de plaidoyer au niveau local, régional et international, dans le but d’assurer que les entreprises technologiques se conforment aux lois et aux principes internationaux relatifs aux droits de l’homme dans leurs opérations.

L’organisation MIFTAH – The Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy promeut la démocratie et la bonne gouvernance en Palestine, avec un focus spécifique sur la participation des femmes et des jeunes. L’organisation s’engage avec les mécanismes onusiens de défense et de promotion des droits de l’hommes, tels que l’Examen Périodique Universel.

PCHR – The Palestinian Center for Human Rights est un organization palestinienne indépendante de défense et protection des droits humains, basée à Gaza. PCHR a été créé en 1995 par un groupe d’avocats et défenseurs des droits humains palestiniens afin de protéger les droits humains et promouvoir l’état de droit conformément aux normes internationales ; créer et développer des institutions démocratiques et une société civile active, tout en promouvant la culture démocratique au sein de la société palestinienne, et ; soutenir tous les efforts visant à permettre au peuple palestinien d’exercer leurs droits inaliénables en matière d’autodétermination et d’indépendance conformément au droit international et aux résolutions de l’ONU.

ALLÉGATIONS

Le 20 août 2023, une évaluation externe du travail des organisations non gouvernementales partenaires de la Direction de Développement et de Coopération (DDC) de la Confédération suisse a été menée, analysant les années 2021 à 2023. Les organisations évaluées comprenaient notamment Adalah, MIFTAH – The Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy et PCHR – The Palestinian Center for Human Rights. Les conclusions de cette évaluation confirment que les partenaires de la DDC promeuvent le droit international des droits humains et le droit international humanitaire ainsi que les objectifs de la DDC, offrent une aide légale à des milliers d’individus pour protéger leurs droits, et ont développé des structures organisationnelles et méthodes de travail qui garantissent l’utilisation efficace de leurs ressources dans des circonstances fréquemment très complexes. L’évaluation recommande la DDC de continuer à soutenir les huit partenaires évalués car « ce sont de bonnes organisations réalisant un excellent travail » (traduit de l’anglais).

Le 11 octobre 2023, un journal de presse a publié un article[1] questionnant les financements offerts par la Confédération à des organisations « qui [alimenteraient] activement le conflit au Moyen-Orient ou [célèbreraient] la terreur du Hamas. » Cet article questionne notamment les financements que reçoit Hamleh.

Le même jour, le Conseil fédéral a diffusé un communiqué de presse[2] faisant valoir que : « Le Conseil fédéral attache par ailleurs une grande importance à ce que le soutien financier de la Suisse soit utilisé à bon escient. A cet égard, le [Département fédéral des Affaires Etrangères (DFAE)] a par le passé procédé à la vérification de l’utilisation des fonds accordés par la Suisse aux ONG au Proche-Orient et a pris les mesures nécessaires. Il n’a pour l’heure pas connaissance de fonds suisses ayant bénéficié au Hamas et à ses activités. Le DFAE va procéder à une nouvelle analyse détaillée des flux financiers liés au programme de coopération au Proche-Orient. »

Entre le 23 et le 25 octobre 2023, dix organisations ont été informées par courriel qu’au vue des évolutions actuelles, la Confédération avait l’obligation de prendre du recul et réévaluer la pertinence et faisabilité des partenariats financiers avec les organisations susmentionnées. A cet effet, il a été décidé de suspendre temporairement les contributions financières de plusieurs partenaires de la Division du Développement et de la Coopération (DDC) en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Le courriel se réfère notamment à la nécessité de réviser la conformité des organisations partenaires avec le code de conduite et la clause anti-discrimination du Département des Affaires Etrangères de la Suisse, compte tenu de l’attaque terroriste contre l’Israël du 7 octobre.

Le 25 octobre 2023, la même information a été publiée dans un communiqué de presse[3] du Conseil fédéral, initialement avec une liste de onze organisations concernées. Quelques heures plus tard, la liste a été retirée. Le DFAE a en outre tweeté le même jour : « #ProcheOrient ¦ En raison de la situation qui prévaut depuis l’attaque Hamas le 7 octobre, le DFAE a décidé de suspendre temporairement son soutien financier à 11 #ONG locales, afin de vérifier si ces organisations respectent notre code de conduite. »

Dans les heures ayant suivi la publication de la liste des organisations affectées par cette décision, des commentaires haineux et diffamatoires ont été publiés sur les réseaux sociaux, présentant cette décision comme la confirmation de la prétendue proximité des organisations de défense des droits humains en Israël et dans les territoires occupés palestiniens avec des organisations terroristes.

Le 1er novembre 2023, lors d’une conférence de presse[4] du Conseil fédéral, des informations contradictoires ont été fournies quant aux raisons de la suspension des fonds. Le conseiller fédéral a indiqué qu’il y aurait une réelle suspicion quant à la non-conformité des actions de ces organisations, tandis que l’ambassadrice et responsable de la division MENA du DFAE a infirmé la question de la suspicion, et a déclaré que le DFAE avait observé des comportements de communication inappropriés au sein de certaines organisations, qui devaient être analysé plus en détail.

Durant cette même conférence de presse, il a été annoncé que cet exercice de révision du financement par le gouvernement suisse serait finalisé avant la fin du mois de novembre 2023.

Certaines des organisations affectées ont donné suite à cette décision, demandant de plus amples informations par courriel ou par lettre officielle. Cependant, aucune réponse n’a été fournie jusqu’aujourd’hui.

Le 22 novembre 2023, le Conseil Fédéral a annoncé dans un communiqué de presse que « […] onze ONG partenaires ont été soumises à une vérification approfondie du respect du code de conduite et de la clause contractuelle anti-discrimination du DFAE. Pour huit d’entre elles, [notamment Adalah – The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel, Hamleh (ou 7amleh) – The Arab Center for Social Media Advancement, et MIFTAH – The Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy,] aucune preuve de non-conformité n’a été trouvée, leur relation contractuelle avec le DFAE sera poursuivie. Pour trois autres, [dont PCHR – The Palestinian Center for Human Rights,] en revanche, des éléments de non-conformité ont été identifiés, ce qui conduit à la cessation de la collaboration. » Les onze organisations non-gouvernementales en question ont été informées lors de réunions bilatérales ou par courriel.

PRÉOCCUPATIONS

Dans la communication, nous exprimons nos sérieuses préoccupations quant à la décision de suspension et révision du financement de onze organisations non gouvernementales israéliennes et palestiniennes par le Gouvernement suisse, l’interruption définitive de financement de trois organisations non-gouvernementales palestiniennes, ainsi que le manque d’éléments concrets justifiant une telle décision. En associant explicitement la suspension des fonds aux attentats terroristes du 7 octobre, les organisations de défense des droits de l’homme dont le financement a été temporairement suspendu ou définitivement interrompu sont désormais soupçonnées d’avoir un lien quelconque avec le terrorisme ou de le soutenir, et ce, malgré une évaluation indépendante très récente dans laquelle plusieurs organisations dont les fonds ont été suspendus ont été félicitées pour avoir accompli leur travail conformément aux priorités du DFAE. Nous insistons sur le fait que toute mesure prise pour lutter contre le financement du terrorisme doit être pleinement conforme au droit international des droits humains et au droit international humanitaire. Les décisions de suspension temporaire ou définitive basées sur la « non-conformité » semblent aléatoires et non fondées.

Nous exprimons notre grave préoccupation quant à l’impact négatif qu’un tel cas de réduction des risques peut avoir sur les droits humains, en particulier lorsque des organisations non gouvernementales de la même région sont visées, et dans une période de conflit et violence très politisée et où leur travail en faveur des droits humains est plus vital que jamais. Nous exprimons également notre préoccupation quant à l’impact négatif que ces pratiques auraient sur la société civile, notamment en réduisant au silence les défenseurs des droits humains israéliens et palestiniens en limitant leur liberté d’association, d’opinion et d’expression ainsi qu’en restreignant leur accès aux ressources financières. Comme le souligne le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et d’association, « [l]a liberté d’association inclut non seulement la capacité pour des personnes ou des entités juridiques de constituer une association et d’y adhérer mais aussi celle de solliciter et de recevoir, de sources nationales, étrangères et internationales, et d’utiliser, des ressources, humaines, matérielles et financières » (A/HRC/23/39, para 8). À cet égard, nous soulignons que la société civile est une composante essentielle de la promotion des droits humains, de la démocratie et de l’état de droit. Les organisations de la société civile en Israël et dans les territoires palestiniens occupés jouent un rôle décisif dans la protection et la promotion des droits humains dans une période de conflit et violence et dans un environnement de plus en plus coercitif, où les droits humains sont systématiquement violés à grande échelle et à un rythme croissant.

Nous soulignons qu’une suspension soudaine d’une subvention à une organisation non gouvernementale peut limiter considérablement la capacité de l’organisation et des défenseurs des droits humains affectés à mener des activités légitimes et protégées, en violation du droit à la liberté de réunion pacifique et d’association, ainsi que du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Dans certains cas, lorsqu’il s’agit d’un projet de financement, la suspension peut affecter les fonds de fonctionnement de base et les salaires, retardant de manière préjudiciable le projet, voire l’annulant. Cela peut empêcher l’apport d’aide aux bénéficiaires, violant ainsi leurs droits et ceux du personnel de l’organisation. Dans le contexte de conflit actuel, ces organisations de défense et promotion des droits humains mènent un travail essentiel en termes de monitoring du respect du droit international des droits humains et du droit international humanitaire, auprès des personnes les plus vulnérables, tels que les femmes et les enfants. Cette décision vient non seulement limiter leur capacité d’action, mais aussi détourner l’attention du contexte d’urgence et de conflit.

Nous sommes également préoccupés par le manque de formalisme de la décision prise de suspendre temporairement les subventions de ces organisations non gouvernementales. Cela a privé les organisations de leur droit à un recours effectif, en les empêchant de demander que la mesure de suspension soit examinée de manière indépendante par un tribunal et déclarée illégale. Cette décision est donc contraire aux garanties procédurales minimales et aux droits à une procédure régulière prévus par le droit international des droits humains. Le manque de clarté et de transparence concernant les bases juridiques des contrôles de sécurité et la suspension des fonds, met les organisations dans une position particulièrement difficile pour faire appel et contester cette décision.

Enfin, nous sommes préoccupés par le fait que ces décisions soient prises à l’heure où la Confédération suisse a adopté depuis 2019 des lignes directrices sur les défenseuses et défenseurs des droits humains, et joue un rôle essentiel dans la priorisation du respect du droits international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le monde. Dans le contexte de conflit actuel, une telle décision vient limiter l’espace de travail et la légitimité des défenseuses et défenseurs des droits humains, alors qu’ils et elles naviguent un contexte complexe, politisé, et violent.


[1] Attaque du Hamas : les Palestiniens incitent à la haine contre Israël et collectent de l’argent en Suisse | Tages-Anzeiger (tagesanzeiger.ch)

[2] Le Conseil fédéral condamne les attaques terroristes du Hamas en Israël et renforce sa capacité d’action (admin.ch)

[3] Situation in the Middle East (admin.ch)

[4] 01.11.2023 – CF Cassis au sujet de: Proche-Orient – augmentation du budget de l’aide humanitaire – YouTube

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