Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au gouvernement du Niger le 12 juin 2023. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Le Gouvernement a répondu le 12 juillet 2023.
Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.
CONTEXTE
Sujet : allégations d’arrestation, détention, harcèlement judiciaire et procédures judiciaires irrégulières de cinq défenseurs des droits de l’homme pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.
M. Abdoulaye Seydou est défenseur des droits humains, président du Réseau Panafricain pour la Paix, la Démocratie, et le Développement (REPPAD) et coordonnateur du Mouvement 62 (M62). Le 17 novembre 2022, parallèlement à l’ouverture de la procédure judicaire à son encontre, M. Seydou a participé, à l’invitation de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, à une consultation avec des représentants de la société civile africaine afin de discuter des impacts des législations et politiques anti-terroristes sur la société civile et l’espace civique.
M. Adamou Idrissa est le Coordinateur de l’ONG Notre Cause Commune, dont les objectifs sont la défense des droits humains, la lutte contre la corruption, l’unité nationale et la promotion de la démocratie. M. Idrissa Adamou est également vice-président de l’association nigérienne des consommateurs pour la démocratie et les droits de l’homme, secrétaire général de l’Association mouvement nigérien pour la promotion des peuples et de la démocratie et ancien trésorier général du Collectif des organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie.
M. Badja Abdoul Awal et M. Ibrahim Salissou sont membres du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable (MPCR). Le MPCR est une organisation qui œuvre, entre autres, à la promotion de la citoyenneté, de l’unité nationale, l’intégration sous-régionale, régionale et africaine, des droits de l’homme et des droits des peuples, de la démocratie ainsi que la lutte contre le chômage, en particulier chez les jeunes.
M. Soumaila Mounkaila est Secrétaire à l’organisation et à la mobilisation du Mouvement de la dynamique citoyenne, une organisation membre de Tournons la page.
ALLÉGATIONS
M. Abdoulaye Seydou
Le 24 octobre 2022, les forces de défense et de sécurité auraient conduit une opération militaire, y compris par des moyens aériens et terrestres, aux environs d’un site aurifère dans la localité de Tamou (département de Say, région de Tillabéry, 114 kms de Niamey). Ces opérations auraient visé des éléments des groupes armées non étatiques (GANEs) qui auraient précédemment conduit une attaque contre un poste de police à Tamou au cours de laquelle deux agents de sécurité ont trouvé la mort et un autre aurait été blessé. Selon plusieurs sources, au cours de cette opération militaire, plusieurs civils auraient été tués et une centaine de personnes grièvement blessées sur le site aurifère. Le bilan officiel de cette opération militaire serait de sept personnes tuées (tous des membres de groupes armés non-étatiques) et vingt-cinq blessés. Le site aurifère aurait été fermé par les autorités.
M. Abdoulaye Seydou, en sa qualité de président du REPADD et coordonnateur du M62, aurait décidé de mener une enquête in situ sur cette opération avec d’autres structures membres du M62. Dans le cadre de cette enquête, M. Seydou aurait lancé un appel à témoins « en vue d’établir une liste des victimes blessées, disparues ou tuées » et d’éclaircir les faits. A cette fin, il aurait publié un communiqué de presse dans laquelle il aurait indiqué l’intention de son organisation de clarifier les faits survenus le 24 octobre 2022 et d’ouvrir une enquête indépendante. Dans ce communiqué de presse, M. Abdoulaye Seydou n’aurait pas donné de chiffres sur le nombre de victimes, ni désigné les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) comme responsables. Il aurait simplement reproduit les éléments contenus dans un rapport de la Commission Nationale des Droits Humains du Niger (CNDH) rédigé à la suite d’une mission d’enquête de cet organe à Tamou.
Quelques jours après l’ouverture de cette enquête, soit au début du mois de novembre 2022, M. Seydou aurait été poursuivi par citation directe par le procureur du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey pour « diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine », en vertu de l’article 31 de la loi n° 2019-33 du 3 juillet 2019 portant sur la répression de la cybercriminalité (ci-après « Loi sur la cybercriminalité »). Selon le parquet, le communiqué du coordonnateur du M62 visait à « saper le moral des militaires » engagés dans la lutte contre le terrorisme, à travers des accusations mensongères sur le nombre de civils tués et blessés, et à porter atteinte à la responsabilité de la hiérarchie des FDS.
Le 23 janvier 2023, M. Seydou aurait comparu devant le tribunal correctionnel de Niamey. Cependant, à la demande du ministère public, l’affaire aurait été renvoyée à une date ultérieure avant que les débats sur le fond ne débutent. Avant de quitter le tribunal, M. Seydou se serait vu notifier une nouvelle convocation par le doyen des juges d’instruction, pour donner suite à une demande d’ouverture d’une information judiciaire par le parquet et comparaître devant le juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey. À la suite de sa comparution devant le doyen des juges d’instruction, le 23 janvier 2023, M. Abdoulaye Seydou aurait fait l’objet d’un mandat de dépôt au Centre de Réinsertion Professionnelle de Kollo (département de Kollo, région de Tillabéri) pour « complicité d’incendie volontaire de hangars et de maisons à usage d’habitation ».
Après deux mois d’instruction criminelle, le 23 mars 2023, le juge du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey aurait rejeté le chef d’accusation de « complicité d’incendie volontaire de hangars et de maisons à usage d’habitation » et aurait renvoyé les parties devant le Tribunal correctionnel sous le seul chef de diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public, qui est une infraction de nature pénale et relève donc de la compétence du Tribunal correctionnel.
Le 31 mars 2023, M. Seydou a été jugé devant le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, après une audience de neuf heures. Le 14 avril 2023, il aurait été condamné à neuf mois d’emprisonnement et à une amende d’un million de francs CFA (2.000 USD). Le 14 avril 2023, il aurait été brièvement hospitalisé pour une angine à la poitrine et, après trois jours d’hospitalisation, il aurait été renvoyé au pénitencier où il purge actuellement sa peine.
Selon les informations reçues, le procureur aurait fondé ses accusations devant le Tribunal correctionnel de Niamey sur une interview donnée par M. Seydou à un journaliste de Radio France Internationale, mais qui dont le contenu aurait été déformé. De plus, il aurait fallu quatre mois au parquet, après l’incident de Tamou, pour ajouter un nouveau chef d’accusation. Selon les allégations reçues, l’enquête criminelle n’aurait duré que deux mois, alors que ce type d’enquête pénale prend de manière généralement beaucoup plus de temps. Lors du procès, le juge d’instruction criminel n’aurait cessé de répéter que « M. Abdoulaye aurait dû attendre le rapport d’une enquête indépendante avant de faire une déclaration à la presse », alors même que le rapport de la CNDH corroborerait tous les éléments contenus dans ses déclarations à la presse.
M. Adamou Idrissa
Selon les informations reçues, le 9 mars 2023, des membres de la police judiciaire (PJ) de Niamey auraient convoqué le frère de M. Idrissa dans leurs locaux pour un vol présumé de téléphone portable. Une fois à la PJ, les agents auraient indiqué au frère de M. Idrissa qu’ils étaient en fait à la recherche de M. Idrissa et l’auraient forcé à les conduire jusqu’au son domicile de celui-ci.
Les agents se seraient présentés au domicile de M. Idrissa sans mandat d’arrêt et l’auraient emmené à la PJ, où ils lui auraient montré une capture d’écran d’un message qu’il aurait partagé sur une application mobile de messagerie instantanée. Les agents l’auraient accusé de partager des données susceptibles de troubler l’ordre public en vertu de l’article 31 de la Loi sur la cybercriminalité et d’être un “ex-détenu” dans une affaire remontant à 2018, dans laquelle il avait été acquitté par le Tribunal correctionnel et pour laquelle la Cour d’appel avait condamné l’État du Niger à lui verser des dommages-intérêts. En désaccord avec les charges présentées dans l’acte d’accusation, M. Idrissa aurait refusé de signer l’acte d’accusation.
Le 10 mars 2023, après 24 heures de garde à vue, les agents de la PJ l’auraient conduit au parquet où ils lui auraient notifié qu’un mandat d’arrêt avait été émis à son encontre à la prison civile de Niamey pour diffusion d’informations susceptibles de troubler l’ordre public, et l’auraient poursuivi en procédure de flagrance.
Après quatre jours de détention, il aurait été admis à l’infirmerie de la prison, où il serait resté jusqu’à l’audience, qui a eu lieu le 21 mars 2023, et à l’issue de laquelle M. Idrissa se serait vu accorder une liberté provisoire. Le procès aurait été ajourné à plusieurs reprises, les l2 et 28 mars, les 4, 18 et 25 avril, ainsi que le 9 mai. Son téléphone serait toujours sous scellé à la PJ et M. Idrissa serait en attente de son procès.
M. Badja Abdoul Awal
Selon les informations reçues, le 9 mars 2023, l’épouse de M. Awal l’aurait informé qu’il avait reçu un appel de la PJ lui demandant de se présenter pour une affaire concernant un téléphone portable volé portant son numéro. Aussitôt informé, il aurait appelé la police pour avoir plus d’informations. Au cours de cet appel, il aurait été informé que les officiers de la PJ pourraient se déplacer chez lui pour régler le problème. Dans le but d’assister les forces de l’ordre et mieux, M. Awal aurait invité la police à venir chez lui. Une fois arrivée à son domicile, la police l’aurait emmené dans les locaux de la PJ.
L’officier de police en charge du dossier l’aurait informé qu’il était poursuivi pour avoir publié sur un réseau social des messages tendant à troubler l’ordre public. L’officier lui aurait montré une dizaine de publications, parmi lesquelles il n’y avait qu’une seule publication qu’il avait uniquement partagée. Au cours de l’interrogatoire, M. Awal aurait demandé à l’agent s’il avait commis un délit. L’agent aurait répondu par la négative, mais plus tard, en cherchant dans son téléphone, l’agent aurait trouvé un message d’un autre acteur de la société civile qui disait : « la direction de la police vient d’ouvrir une ligne verte pour dénoncer les bavures policières ». L’agent de police lui aurait dit qu’il le poursuivrait pour ce message.
Le 10 mars 2023, après 24 heures de garde à vue, la police l’aurait déféré devant le parquet où il aurait été notifié de son placement sous mandat de dépôt à la prison civile de Niamey pour diffusion des données de nature à troubler l’ordre public en vertu de l’article 31 de la Loi sur la cybercriminalité. A la même date, il aurait été déféré à la prison civile de Niamey où il serait resté jusqu’à l’audience du 21 mars 2023 à la suite de laquelle il se serait vu relaxer sur place par le président de l’audience pour faits non-constitués. Le juge aurait alors ordonné la restitution de son téléphone.
M. Ibrahim Salissou
À la mi-février 2023, M. Salissou aurait partagé une vidéo dans un groupe appelé “Démocratie” sur une application mobile de messagerie instantanée. La vidéo, qui informait d’un coup d’État au Niger, aurait été initialement publiée par un acteur de la société civile burkinabé sur ses propres réseaux sociaux avant sa diffusion par le biais de plusieurs autres canaux. Quelques jours après la publication, le 20 février 2023, M. Salissou aurait été convoqué à la PJ, où il aurait été informé que le partage de ce contenu constituait une infraction pénale. M. Salissou aurait été interrogé pour savoir s’il était l’auteur de la vidéo, ce à quoi il aurait répondu qu’il ne faisait que partager la publication. Il aurait été placé par la suite en garde à vue.
Le 21 février 2023, M. Salissou aurait été présenté au juge d’instruction du 3ème cabinet du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey qui, après l’avoir entendu, l’aurait placé sous mandat de dépôt à la prison civile de Niamey. Son avocat aurait déposé, à la même audience, une demande de mise en liberté provisoire, qui aurait été rejetée. Le même jour, il aurait été incarcéré à la prison civile de Niamey pour “diffusion de données de nature à troubler l’ordre public” en vertu de l’article 31 de la Loi sur la cybercriminalité. Le 23 mars 2023, le tribunal aurait accédé à sa demande de mise en liberté provisoire et il aurait été libéré le même jour.
M. Soumaila Mounkaila
M. Mounkaila aurait été arrêté à la suite d’un message écrit, d’appel à manifestions, envoyé au sein d’un groupe de messagerie instantanée. Il s’agirait d’un texte écrit faisant état d’un appel à manifestation du 15 au 18 février 2023 sur l’ensemble du territoire national. Il ne serait pas l’auteur de ce message. Il aurait juste fait une traduction par audio dans sa langue maternelle qui est le Zarma. Il n’aurait toutefois pas envoyé cette traduction. Quelques jours après, son audio aurait été associé au texte d’appel à manifestation et aurait été envoyé dans d’autres groupes de messagerie instantanée à son insu. Entre les 12 et 15 février 2023 le message aurait été diffusé en même temps que la traduction.
Le 17 février 2023, aux environs de 7h du matin, deux éléments de la police judiciaire, habillés en tenue de sport, auraient procédé à son arrestation et l’auraient conduit dans les locaux de la police judiciaire où ils l’auraient placé en garde à vue jusqu’au lundi 20 février 2023. A cette date il aurait été présenté au procureur de la République du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey qui l’aurait notifié des charges portées à son encontre, à savoir « la diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ». A la suite de l’audition au parquet, il aurait été placé sous mandat de dépôt à la prison civile de Niamey par le juge d’instruction. Après une semaine de détention, il serait tombé malade car, il souffrirait de plusieurs maladies chroniques dont des problèmes respiratoires et de reins. Il serait allé plusieurs fois à l’infirmerie où ils lui auraient donné des médicaments qui, selon lui, ne seraient non adaptés à sa maladie. Il aurait même demandé à ce que le personnel de l’infirmerie établisse une ordonnance médicale afin que sa famille puisse lui acheter les médicaments nécessaires à sa situation, mais en vain. Ce n’est que par l’intermédiaire de la commission nationale des droits humains, qui effectuait une visite dans les locaux de la prison civile et à qui il aurait présenté sa situation pour qu’une telle ordonnance puisse lui être délivrée. Il aurait ensuite été hospitalisé à l’infirmerie, et ce, pendant toute la durée de sa détention.
Le 5 mai 2023 le Tribunal correctionnel de Niamey aurait rendu un jugement dans son dossier. Il a été condamné à six mois de prison dont deux fermes et quatre avec sursis ainsi que 100.000 FCFA d’amende (environ 200 USD). Le 17 mai 2023, il a fait appel de la décision. L’affaire n’a pas encore été jugée en appel. M. Soumaila soutient que dans cette procédure, sa seule « préoccupation concerne ses enfants ».
PRÉOCCUPATIONS
Dans cette communication, nous exprimons de graves préoccupations quant aux allégations de harcèlement judiciaire, de détentions arbitraires et d’irrégularités procédurales à l’encontre des défenseurs des droits humains Messieurs Abdoulaye Seydou, Adamou Idrissa, Badja Abdoul Awal, Ibrahim Salissou et Soumaila Mounkaila.
En premier lieu, nous exprimons notre inquiétude face à ce qui semble harcèlement judicaire, une forme de persécution et de représailles systématique contre les défenseurs des droits humains en lien avec leur travail de plaidoyer et d’enquête. Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation de M. Seydou, car son arrestation et son procès judicaire semblent être directement liés à son travail de plaidoyer et d’enquête, en particulier sur l’opération antiterroriste des FDS dans le site d’orpaillage de Tamou, au cours de laquelle au moins sept personnes auraient perdu la vie. A cet égard, nous rappelons que la communication, la documentation et la publication d’informations relatives aux actes terroristes ou à des mesures antiterroristes sont des éléments essentiels de la transparence et de la responsabilité.
Nous exprimons notre profonde préoccupation face à l’invocation de l’article 31 de la Loi sur la cybercriminalité à l’encontre de défenseurs de droits humains. Nous observons avec préoccupation que cette disposition punit d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’un million à cinq millions de francs CFA d’amende, le fait pour une personne « de produire, de mettre à disposition d’autrui ou de diffuser des données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système d’information ». Nous estimons que cette disposition, du fait de sa formulation large et vague, est contraire au principe de sécurité juridique. Nous considérons que le libellé actuel de l’article 31 de la Loi sur la cybercriminalité est susceptible de criminaliser l’expression légitime d’opinions. Ceci est contraire à la liberté d’expression et d’opinion, et constitue une restriction de l’espace civique et démocratique au Niger. Nous soulignons que toute restriction à la liberté d’expression qu’un gouvernement cherche à justifier par des raisons de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme doit avoir pour but véritable et pour effet démontrable de protéger un intérêt légitime de sécurité nationale. En outre, ce type de dispositions ne doivent pas être utilisées contre des personnes exerçant pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique d’une manière conforme au droit international, et doivent être conformes aux exigences de proportionnalité, de nécessité et de non-discrimination.
Tout en étant conscients du contexte sécuritaire fragile marqué par des attaques terroristes dans toute la région du Sahel, y compris au Niger, nous sommes préoccupés par le fait que l’article 31 de la loi sur la cybercriminalité et d’autres dispositions antiterroristes semblent être utilisées de manière répétée contre les défenseurs des droits humains.
Nous observons avec préoccupation que Messieurs Adamou Idrissa, Badja Abdoul Awal, Ibrahim Salissou et Soumaila Mounkaila sont accusés d’avoir partagés des messages sur des applications mobile de messagerie instantanée et réseaux sociaux. Les modes d’expression électroniques sont un outil essentiel par lequel les acteurs de la société civile peuvent exercer leur liberté d’opinion et d’expression. Le droit à la vie privée, protégé par les articles 17 et 19 du PIDCP, est souvent considéré comme une condition essentielle à la réalisation du droit à la liberté d’expression et une ingérence indue dans la vie privée des individus peut directement et indirectement limiter le libre développement et l’échange d’idées et peut avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression.
Nous sommes également préoccupés par les allégations d’irrégularités de procédure au cours des procès pénaux des défenseurs susmentionnés, à savoir des délais inhabituels de procédures, des ajournements d’audiences, des perquisitions illégales, des arrestations sans mandat. Nous notons de surcroit la partialité alléguée du juge chargé de l’affaire de M. Abdoulaye Seydou. Nous rappelons que le droit à un procès équitable est un élément clé de la protection des droits humains et sert de moyen procédural pour sauvegarder l’État de droit. Un tribunal compétent est l’une des garanties d’un procès équitable et ces garanties ne peuvent jamais faire l’objet de mesures dérogatoires qui contourneraient la protection de droits non dérogeables. Nous insistons sur le fait que toute personne, quelle que soit la gravité des accusations portées contre elle, a droit à un procès équitable. Ce droit est reconnu non seulement dans les traités relatifs aux droits de l’homme, mais aussi dans le droit international humanitaire, le droit pénal international, les conventions antiterroristes et le droit international coutumier. Ce harcèlement judiciaire dont ces défenseurs des droits humains semblent faire l’objet constituent non seulement une restriction directe et injustifiée à leur liberté d’expression, mais ont également des implications négatives plus larges pour les droits humains au Niger. A cet égard, nous exprimons notre inquiétude quant à l’effet dissuasif que de telles procédures judiciaires peuvent avoir spécifiquement sur les défenseurs des droits humains qui souhaitent s’exprimer, manifester pacifiquement, se réunir et participer à la vie publique et politique au Niger, et plus généralement sur l’espace civique.
Nous soulignons que la société civile est nécessaire pour canaliser le mécontentement et permettre une coopération constructive avec les États, ainsi que pour affaiblir directement les facteurs qui poussent certains individus vers le terrorisme et l’extrémisme violent. La répression de la société civile dans le but de prévenir des menaces terroristes perçues ou pour motifs de sécurité nationale entraîne des effets négatifs considérables. Pour être efficace, une stratégie de lutte antiterroriste doit renforcer la société civile, et non l’affaiblir.