Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression et moi-même et transmise au gouvernement du Niger le 20 octobre 2021. La communication est récemment devenue publique, ainsi que la réponse du gouvernement, reçue le 24 décembre 2021.
J’aimerais remercier le gouvernement pour sa réponse, mais je tiens à exprimer mes préoccupations suite aux développements récents de l’affaire (voir ci-dessous).
CONTEXTE
Sujet: allégations de harcèlement judiciaire de Samira Sabou et Mousa Aksar.
Mme Samira Sabou est une journaliste, blogueuse et défenseuse des droits humains, présidente de l’Association des Blogueurs pour une Citoyenneté Active (ABCA) et administratrice du site MIDES – Magazine d’information sur le Développement Economique et Social. Elle œuvre à la promotion du droit de femmes à la liberté d’expression.
M. Moussa Aksar est un journaliste d’investigation et défenseur des droits humains, directeur du journal L’Evénement et président de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).
ALLÉGATIONS
Le 12 mai 2021, M. Aksar aurait relayé sur le site de son journal L’Evénement un article publié par une organisation non-gouvernementale internationale concernant le trafic de drogue au Niger. Cet article aurait affirmé qu’une quantité de drogue saisie en mars 2021 par l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants – OCRTIS aurait ensuite été rachetée par les réseaux de trafic impliqués. Le 26 mai 2021, Mme Sabou aurait partagé le même article sur sa page Facebook.
Le 27 mai 2021, à environ 10h30, Mme Sabou aurait reçu un appel d’une personne inconnue, qui aurait insisté pour qu’elle se présente à l’OCRTIS immédiatement, sans explications. Une demie heure plus tard, une dizaine de policiers en tenue civile seraient arrivés au domicile de Mme Sabou où ils auraient tenté d’inspecter la maison et d’arrêter la défenseuse de droits humains, sans mandat. Des agents de l’OCRTIS seraient ensuite arrivés au domicile de Mme Sabou et auraient procédé à son arrestation. Ces agents auraient amené la défenseuse des droits humains au bureau d’OCRTIS ou elle aurait été interrogé par le Directeur Général de l’OCRTIS et deux policiers, sans la présence de son avocat, avant d’être libérée plus tard le même jour.
Le 28 mai 2021, l’OCRTIS aurait publié une réponse à l’article de l’organisation non-gouvernementale susmentionnée. Dans cette réponse, l’OCRTIS aurait nié l’analyse de l’organisation et affirmé que l’article avait pour objectif de ternir l’image de l’OCRTIS et du Niger.
En juillet 2021, M. Aksar aurait été convoqué par la police et interrogé surson partage, sur le site de l’Evénement, de l’article cité ci-dessus, ainsi quesur ses liens avec l’ONG internationale qui l’aurait publié.
Le 9 septembre 2021, Mme Samira et M. Aksar auraient comparu devant le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey. Mme Samira aurait été mise en examen pour diffamation par un moyen de communication électronique et de diffusion d’informations pour troubler l’ordre public, et M. Aksar pour diffamation par un moyen de communication électronique, suite à une plainte portée contre eux par l’OCRTIS en rapport avec leur partage de l’article mentionné ci-dessus. Ces crimes, définies par les article 29 et 31 de la Loi contre la cybercriminalité de 2019, sont punis de peines d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’amendes d’un million à cinq millions de francs CFA.
PRÉOCUPATIONS
Au moment de l’envoi de la communication, nous avons exprimé notre profonde préoccupation quant aux accusations portées contre Mme Samira et M. Aksar, qui semblaient être directement liées à l’exercice de leur droit à la liberté d’expression. À cet égard, nous avons souhaité souligner nos préoccupations concernant les articles de la Loi contre la cybercriminalité, sur la base desquels les journalistes ont été mis en examen et qui, nous craignions, pourraient avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression au Niger, et sur le travail important des journalistes et défenseur.e.s des droits humains dans le pays.
ACTUALISATION
Le 3 janvier 2022, Mme Samira et M. Aksar ont été condamnés avec sursis à un mois et deux mois de prison, respectivement, et des amendes. J’exprime mon regret profond quant à leur condamnation et je continuerai à suivre l’affaire.