Niger : détention arbitraire et poursuites judiciaires contre le journaliste et défenseur des droits humains Moussa Tiangari (communication conjointe)

Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres experts des Nations Unies et transmise au Gouvernement du Niger le 28 mai 2025. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies

Depuis l’envoi de la communication, la Cour d’Appel de Niamey a rejeté le 4 juillet 2025 la requête en nullité de procédure déposée par les avocats de Moussa Tiangari. La demande a été jugée irrecevable, marquant un refus de la cour de se prononcer sur le fond de l’affaire. Les avocats de M. Tiangari ainsi que son organisation, l’AEC, étudient désormais d’autres recours pour faire annuler les poursuites à l’encontre du défenseur.

Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.

Lire la communication complète

CONTEXTE

Sujet : la détention arbitraire de M. Moussa Tiangari au Niger et les poursuites judiciaires à son encontre depuis 2015.

M. Moussa Tiangari est journaliste et secrétaire général de l’organisation Alternative Espaces Citoyens (AEC). AEC est une organisation nigérienne qui travaille sur la défense des droits humains et des droits des personnes migrantes et qui agit notamment par le biais de l’éducation à la citoyenneté.

M. Moussa Tiangari a fait l’objet des communications adressée au Gouvernement du Niger (AL NER 1/2018) le 3 juillet 2018 et (AL NER 1/2020) le 2 avril 2020, concernant des allégations d’arrestation arbitraire pour avoir exercé son droit à la liberté de réunion pacifique et d’association. Nous remercions le Gouvernement pour la réponse reçue en date du 7 septembre 2018. Cependant, à la lumière des informations récemment portées à notre connaissance, nous restons préoccupés par la situation de M. Moussa Tiangari.

ALLÉGATIONS

Le 18 mai 2015, M. Moussa Tiangari a donné une interview à Radio France International (RFI), dans laquelle il dénonçait l’arrestation de plusieurs chefs de village de la région de Diffa, détenus et accusés de collusion avec des insurgés au Nigéria. Quelques jours avant l’interview, l’organisation dont M. Tiangari est secrétaire général, AEC, avait publié un rapport d’observation citoyenne sur la situation humanitaire dans la région frontalière de Diffa, très critique de la politique du Gouvernement nigérien à Diffa. Plus précisément, le rapport dénonçait l’évacuation forcée, organisée par le Gouvernement, d’au moins 25 000 personnes des îles du lac Tchad à la suite d’actes violents perpétrés par des acteurs non-étatiques. Le rapport dénonçait particulièrement l’incapacité du Gouvernement nigérien d’accueillir de manière adéquate les personnes déplacées par la force.

Quelques heures après l’interview, le soir du 18 mai 2015, M. Moussa Tiangari a été arrêté par des membres de la cellule anti-terroriste (CAT) de Niamey, relevant de la Direction générale de la police nationale (DGPN). Selon les informations reçues, il a été détenu pendant dix jours à Niamey. Tout d’abord, il a été accusé d’atteinte à la défense nationale, ce qui constitue un crime capital au Niger. Aucune preuve n’ayant été trouvée, les accusations ont été abandonnées. Au lieu de cela, il a été poursuivi pour « mise en danger de la défense nationale » et atteinte « au moral des troupes » (art. 62 et 63 du Code Pénal).

Le 25 mars 2018, le défenseur des droits humains a été de nouveau arrêté tandis qu’il était dans les locaux de l’AEC et détenu arbitrairement pendant quatre mois. Le 27 mars 2018, M. Tiangari a été accusé « d’organisation et participation d’une manifestation interdite, » et de « complicité de destruction de biens » selon les termes de la loi 2004-45 du 8 juin 2004, pour sa participation aux manifestations pacifiques contre la Loi de finances de 2018. Le 10 juillet 2018, le procès de M. Tiangari et plusieurs autres personnes impliquées dans les manifestations a été reporté après qu’ils ne se soient pas présentés à la barre le 3 juillet 2018. Leurs avocats ont formulé une demande de mise en liberté au motif de « l’incapacité du Ministère Public à faire comparaître des personnes détenues sous mandat » mais cette demande a été rejetée par le tribunal. Le Ministère Public a requis 3 ans de prison ferme et 100 000 FCFA d’amende à l’encontre de M. Tiangari. Le 24 juillet 2018, après quatre mois de détention arbitraire, le tribunal de grande instance de Niamey avait condamné M. Moussa Tiangari à trois mois de prison avec sursis et a ordonné sa libération.

En mars 2020, M. Moussa Tiangari a été de nouveau arrêté et détenu arbitrairement pendant un mois et demi en raison de sa participation à une manifestation dénonçant la corruption et des détournements de fonds dans les achats militaires. Le 19 mars 2020, le défenseur des droits humains a été déféré devant le parquet de Niamey dans le cadre de cette affaire ; il a été poursuivi pour « organisation d’une manifestation interdite », « incendie volontaire » et « homicides involontaires », puis détenu à la prison de Tillabéri. Le 30 avril 2020, il a été provisoirement relâché.

Au cours de l’année 2024, M. Moussa Tiangari et son organisation, l’AEC, se sont prononcés à plusieurs reprises contre les autorités et la situation actuelle des droits humains au Niger. Le 12 novembre 2024 M. Tiangari a dénoncé ouvertement la décision du Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Publique et de l’Administration du Territoire du Niger de retirer l’autorisation d’exercer de deux organisations non-gouvernementales, ainsi que la création d’un fichier pour les personnes, groupes ou entités impliques dans des actes de terrorisme ou d’autres infractions menaçant les intérêts stratégiques du Niger en vertu de l’arrêté n° 2024-43 signé par les autorités, qui permet de classer les personnes soupçonnées de terrorisme selon des critères vagues et sans preuve crédible. Le 28 novembre 2024, l’AEC a organisé une conférence au sujet du décret présidentiel du 10 octobre 2024 visant à retirer provisoirement le droit à la citoyenneté de plusieurs personnes liées à l’ancien Président Mohamed Bazoum. Le Procureur de la République près le Tribunal de grande classe hors classe de Niamey et un ancien ministre de la Justice auraient assisté à cette conférence. Au cours du mois de novembre 2024, le défenseur des droits humains s’est rendu en Côte d’Ivoire pour assister à un événement organisé par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), en commémoration du 75ème anniversaire des Conventions de Genève. À la suite de cette commémoration, un article accusant le défenseur des droits humains de s’exprimer contre le Gouvernement nigérien pendant l’événement a été publié par un journaliste qui supposément aurait des liens avec les autorités. M. Tiangari s’est ensuite rendu au Nigeria où il a assisté à la réunion du conseil d’administration d’une organisation nigériane qui est partenaire de l’AEC.

A son retour au Niger, le 3 décembre 2024, M. Tiangari a été arrêté à son domicile et aurait été cagoulé par trois hommes non identifies et armés, qui disaient être policiers. Les trois hommes seraient entrés au domicile de M. Tiangari, auraient fouillé les lieux, saisi son téléphone, sa valise et son ordinateur, et auraient emmené de force le défenseur des droits humains dans un lieu inconnu. Aucun mandat d’arrêt n’a été présenté au moment de son interpellation. Pendant deux jours, le sort de M. Tiangari et le lieu où il se trouvait étaient inconnus.

Le 5 décembre 2024, les avocats de M. Tiangari l’ont trouvé en garde à vue au Service Central de Lutte contre le Terrorisme et de la Criminalité Transnationale Organisée SCLCT/CTO. Les avocats auraient rencontré de nombreux obstacles avant d’être autorisés à consulter M. Tiangari.

Le 3 janvier 2025, le SCLCT/CTO a conduit le défenseur des droits humains devant le tribunal de grande instance de Niamey ; il a été poursuivi pour « apologie du terrorisme » (art. 399.1.7 bis), « atteinte à la sûreté de l’État » (art. 62 et suivant), « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste » (art. 399.1.19), prévus dans le Code pénal. Il a également été accusé d’« atteinte à la défense nationale » (arts 66 et suivants) et de « complot contre l’autorité de l’État en intelligence avec des puissances ennemies » (arts 62 et suivant) du Code Pénal nigérien. Le juge d’instruction l’a placé sous mandat de dépôt à la prison de Filigué (région de Tillabéri), située à 180 km de Niamey, où il a été transféré le même jour. Si condamné, M. Tiangari risque entre cinq et dix ans d’emprisonnement, la peine de mort, et pourrait être déchu de sa nationalité nigérienne.

Le défenseur des droits humains, M. Tiangari, est toujours détenu arbitrairement à la prison de Filingué à la date de cette communication.

PRÉOCCUPATIONS

Dans la communication, nous exprimons notre profonde préoccupation quant aux allégations de harcèlement judiciaire, de détention arbitraire et d’irrégularités procédurales à l’encontre de M. Moussa Tiangari. Nous sommes préoccupés aussi par sa disparition forcée pendant deux jours, durant laquelle il n’a eu aucun contact avec sa famille ou son avocat. Ces deux jours de détention au secret laissent craindre des questions sur sa sécurité et son intégrité physique. Nous sommes également préoccupés par l’utilisation apparemment abusive des accusations liées à la sécurité nationale et au terrorisme, qui ne semblent reposer sur aucune preuve. Les infractions terroristes semblent également vagues, trop générales, susceptibles d’être utilisées de manière abusive et incompatibles avec les exigences de légalité (notamment la certitude et la prévisibilité) énoncées à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils (PIDCP).

Tout en étant conscients du contexte sécuritaire fragile marqué par des attaques terroristes dans toute la région du Sahel, y compris au Niger, nous sommes préoccupés par le fait que la base de données sur le terrorisme et d’autres dispositions antiterroristes permettrait de classer les personnes soupçonnées de terrorisme selon des critères vagues et sans preuve crédible et semblent être utilisées contre quelques défenseurs des droits humains (voir A/HRC/50/23/Add.2; AL NER 1/2023 ; CCPR/C/NER/CO/2 ; A/HRC/WG.6/38/NER/2). Enfin, nous exprimons nos plus vives préoccupations concernant les lourdes peines encourues pour les infractions auxquelles M. Tiangari fait face, en particulier le risque de peine de mort au cas où il serait reconnu coupable.

Nous sommes également préoccupés par les allégations d’irrégularités de procédure concernant M. Tiangari, à savoir des perquisitions illégales et des arrestations sans mandat. Nous rappelons que le droit à un procès équitable est un élément clé de la protection des droits humains et sert de moyen procédural pour sauvegarder l’État de droit. Ce harcèlement judiciaire dont M. Tiangari semble faire l’objet ne constitue pas seulement une restriction directe et injustifiée de sa liberté d’expression, mais a également des implications négatives plus larges pour les droits humains au Niger.

À cet égard, nous exprimons notre inquiétude quant à l’effet dissuasif que de telles procédures judiciaires peuvent avoir spécifiquement sur les journalistes qui souhaitent exercer leur profession sans crainte de représailles et les défenseurs des droits humains qui souhaitent s’exprimer librement, manifester pacifiquement, se réunir et participer à la vie publique et politique au Niger dans l’exercice de leurs droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, entre autres, reconnus par le droit international, aussi que, plus généralement, sur l’espace civique.

Nous observons avec préoccupation que la majorité des charges retenues contre M. Tiangari semblent étroitement liées à ses activités professionnelles d’enquête et d’investigation. À cet égard, nous rappelons que la communication, la documentation et la publication d’informations relatives aux actes terroristes ou aux mesures antiterroristes constituent des éléments fondamentaux de la transparence et de la responsabilité publique (voir A/HRC/40/52). Il est donc essentiel que le Gouvernement du Niger s’abstienne de criminaliser de telles activités journalistiques ou de recherche. Si des considérations de sécurité opérationnelle peuvent, dans des cas exceptionnels, justifier un certain degré de confidentialité, il n’en demeure pas moins que les autorités sont encouragées à garantir le droit du public à l’information, à renforcer la transparence et la confiance des citoyens, et à assurer l’obligation de rendre des comptes ainsi que l’accès à des voies de recours effectives.

Par ailleurs, nous soulignons que la société civile joue un rôle crucial dans la canalisation des frustrations sociales, la promotion du dialogue et la coopération constructive avec les institutions étatiques. Elle contribue également à affaiblir les facteurs de radicalisation menant au terrorisme et à l’extrémisme violent. La répression de la société civile, sous prétexte de prévention des menaces terroristes ou de protection de la sécurité nationale, peut avoir des effets contre-productifs majeurs. Pour être véritablement efficace, toute stratégie de lutte contre le terrorisme doit viser à renforcer, et non à affaiblir, la société civile. La participation civique constitue un pilier essentiel dans la prévention de l’extrémisme, et la jouissance des libertés fondamentales – notamment la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique – est indispensable à cet égard. Nous insistons également sur le fait que la cohésion sociale représente l’un des instruments les plus puissants dans la lutte contre le terrorisme. À ce titre, nous rappelons au Gouvernement du Niger son obligation de garantir un espace civique ouvert et inclusif, conformément aux recommandations formulées dans le rapport A/HRC/50/23/Add.2.

Enfin, nous exprimons notre profonde préoccupation quant au fait que certaines des charges retenues contre M. Tiangari sont passibles de la peine de mort. Nous rappelons au Gouvernement du Niger que, conformément à l’interprétation constante du Comité des droits de l’homme, l’article 6, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) restreint strictement l’imposition de la peine capitale aux crimes les plus graves, à savoir ceux ayant entraîné la perte intentionnelle de vies humaines (CCPR/C/79/Add.25 ; CCPR/C/GC/36, par. 35). En conséquence, toute infraction ne répondant pas à ce seuil de gravité ne saurait, en droit international, justifier une telle sanction, en particulier lorsque les charges semblent découler de l’exercice légitime de droits et libertés fondamentaux. En outre, la peine de mort ne peut être prononcée que dans le strict respect des garanties substantielles et procédurales d’un procès équitable. Or, au vu des éléments portés à notre attention, de doutes subsistent quant au respect de ces garanties dans la présente affaire.

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