Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humainset transmise au gouvernement d’Haïti le 23 mai 2022. La communication est récemment devenue publique, mais malheureusement, le gouvernement n’a pas répondu dans le délai initial de 60 jours. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.
« Nous souhaiterions attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur des informations que nous avons reçues concernant la planification de l’assassinat du défenseur des droits de l’Homme M. Pierre Espérance.
M. Pierre Espérance est un défenseur haïtien des droits de l’Homme reconnu, engagé dans la protection des droits de l’Homme depuis plus de 20 ans. Il est directeur exécutif du RNDDH et membre et ancien secrétaire général de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH).
Le Réseau National de Défense des Droits de l’Homme (RNDDH) est une organisation de défense des droits de l’Homme basée à Port-au-Prince. Par la recherche, le plaidoyer et la formation, le RNDDH forme la société civile sur la meilleure façon de défendre les droits de l’Homme. Il surveille également les violations des droits de l’Homme et contribue au travail des institutions qui sont tenues de protéger les droits de l’Homme dans ce domaine.
M. Espérance et le RNDDH ont fait l’objet de trois précédents appels urgents adressés par les Procédures Spéciales au Gouvernement de votre Excellence : HTI 1/2014, HTI 1/2017 et HTI 1/2018. Dans ces communications, nous avons fait part de notre inquiétude quant à la sécurité de M. Espérance, de sa famille et de ses collègues du RNDDH suite à une série de menaces de mort proférées à son encontre en 2014, 2017 et 2018, et après une fusillade qui a eu lieu dans les locaux du RNDDH en 2018. Des inquiétudes ont également été exprimées concernant la campagne de diffamation lancée contre le RNDDH par un haut responsable du Gouvernement haïtien, qui l’a qualifié de groupe terroriste. Nous avons le regret de vous informer qu’au moment de la rédaction du présent document, le Gouvernement de votre Excellence n’a répondu à aucune de ces communications.
Selon les informations reçues :
Le 16 mars 2022, une rencontre a eu lieu à Kenscoff, au sud de Port-au-Prince, entre une dirigeante influente du Parti haïtien Tèt Kale (PHTK) et 13 autres personnes non identifiées, au cours de laquelle il a été question de futures attaques envers les membres du RNDDH et de la planification de l’assassinat de Pierre Espérance. Ces projets d’attaques seraient liés aux multiples dénonciations du RNDDH, notamment concernant les massacres et attaques armées dans les quartiers défavorisés.
A l’issue de cette rencontre, huit des participants se sont dirigés vers la base de la Brigade de sécurité des aires protégées (BSAP) près de Kenscoff, et cinq autres se sont rendus à Port-au-Prince, où ils ont rencontré des membres des gangs armés appelé « G-9 an fanmi e Alye ». Lors de cette rencontre, une importante somme d’argent liquide, des armes de gros calibre, des munitions et un lot d’équipement dont des gilets pare-balles et des casques de protection ont été remis aux cinq hommes.
Le 18 mars 2022, après avoir été informé de ces faits par une personne ayant assisté à la rencontre, le RNDDH a adressé une lettre de plainte à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) dénonçant ces menaces et demandant l’ouverture d’une enquête.
M. Pierre Espérance et le RNDDH ont déjà fait l’objet d’attaques et de menaces par le passé. Par ailleurs, en juin 2021, un membre appartenant aux gangs armés appelé « G-9 an fanmi e Alye » avait publiquement proféré des menaces de mort à l’encontre de Pierre Espérance. De plus, le chef de gang aurait mis au point un plan pour assassiner le défenseur des droits humains et aurait organisé des filatures avec ses hommes à cet effet.
Auparavant, en mai 2020, le bureau du RNDDH à Port-au-Prince avait fait l’objet d’une attaque armée par des individus non-identifiés, qui n’avait pas fait de victimes. En avril 2018, le bureau de l’organisation avait déjà été criblé de balles par des individus non identifiés qui avaient, en outre, proféré des menaces de mort à l’encontre de Pierre Espérance. Le 23 avril 2019, une rencontre de planification de l’assassinat de M. Espérance s’était tenue au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales. De nombreuses plaintes concernant ces attaques et actes d’intimidation ont été déposées devant les autorités policières, sans que celles-ci ne soient jamais suivies d’effets.
Sans préjuger de l’exactitude des allégations formulées ci-dessus, nous souhaitons exprimer notre profonde préoccupation concernant la planification de l’assassinat du défenseur des droits de l’Homme M. Pierre Espérance, qui semblent être directement liées à son travail légitime en tant que défenseur des droits de l’Homme en Haïti. À la lumière de ces menaces et du climat d’insécurité dans le pays, nous sommes extrêmement préoccupés par la sécurité et le bien-être de M. Espérance, de sa famille et de ses collègues du RNDDH.
Nous sommes très préoccupés par le fait que ces récentes menaces présumées semblent faire partie d’un schéma plus large d’intimidation et de menaces contre le défenseur des droits de l’Homme et le RNDDH, qui se poursuit depuis 2014. La planification de l’assassinat de Pierre Espérance se produise dans un contexte d’insécurité croissante et de montée en puissance des groupes armés dans le pays. »