Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres expertes des Nations Unies et transmise au gouvernement des Comores le 17 octobre 2024. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.
Selon des informations reçues par la Rapporteuse spéciale, Me Gérard Youssouf Abdou et sa famille se trouvent dans une situation extrêmement précaire depuis leur départ des Comores, et rencontrent de grandes difficultés à accéder à des besoins essentiels. Par ailleurs, Me Abdou demeure préoccupé par la menace constante d’enlèvement ciblé en raison de ses activités de défenseur des droits de l’homme vivant à l’étranger.
Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.
CONTEXTE
Sujet : le harcèlement, les menaces et le déplacement forcé subis par Me Gérard Youssouf Abdou, en raison de sa dénonciation d’irrégularités lors des élections Présidentielles et des Gouverneurs du 14 janvier 2024.
Me Gérard Youssouf Abdou est un avocat et défenseur des droits de l’homme. Il était membre de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). En tant qu’ancien Magistrat converti en avocat, Me Abdou s’est engagé dans la défense des droits humains et des libertés publiques, défendant des citoyens poursuivis devant les Cours et tribunaux Comoriens. Me Abdou a écrit et contribué à des articles dans le journal « Masiwa », dans lesquels il a formulé de vives critiques à l’égard des forces l’armées des Comores et a fait état de graves violations des droits de l’homme commises à Mbeni. Il continue d’écrire des articles pour le journal depuis l’étranger.
ALLÉGATIONS
L’Union des Comores a organisé un double scrutin le 14 janvier 2024, relatif à l’élection du Président de la République et des Gouverneurs. Un consensus politique a été trouvé permettant la désignation de Me Abdou en tant que représentant de l’opposition au sein de la CENI. C’est ainsi que Me Abdou a été choisi pour représenter Mouigni Baraka Saïd Soilihi, un candidat présidentiel pour les élections de 2024.
En novembre 2023, dans une interview pour le journal Masiwa, il a souligné la mobilisation, la participation et l’implication de la population générale dans ce processus électoral, ce qui permettrait d’organiser des élections libres et équitables. Il a fait part de sa confiance dans la CENI, dans sa composition et dans les garanties qu’elle offre pour servir le peuple comorien.
Au cours du processus électoral, Me Abdou a observé, dans le cadre de ses fonctions à la CENI et en tant que défenseur des droits humains, ce qu’il a interprété comme des irrégularités. Le 18 janvier 2024, quelques heures avant la délibération des résultats des élections présidentielles, Me Abdou a manifesté son désaccord sur les résultats. Il a signalé publiquement ce qu’il a perçu comme une tentative de manipulation du processus démocratique par certains acteurs au sein du gouvernement et de la CENI. Il n’a pas assisté à la délibération qui a eu lieu plus tard dans la journée, ce qui a encore attiré l’attention du public. Ces préoccupations ont été relayées dans la presse nationale et internationale, et Me Abdou a tenu un point de presse pour partager ses observations.
Le soir même du 18 Janvier, vers 22 heures 30 minutes, un individu s’est rendu au domicile de Me Abdou pour l’avertir d’une arrestation imminente. Me Abdou a aperçu plusieurs véhicules se dirigeant vers sa résidence, et s’est caché à proximité de son domicile. Il a observé six militaires descendre des véhicules et certains sont entrés dans la maison en passant par le rez-de-chaussée, tandis que les autres se sont postés devant la porte du salon. Après environ quinze minutes, les militaires ont quitté les lieux sans procéder à aucune arrestation.
C’est ainsi qu’il s’est retrouvé avec sa famille dans une situation d’insécurité, de menaces permanentes, de craintes d’arrestation ou d’assassinat. Face à cette situation préoccupante, Me Abdou a été contraint de quitter le pays en janvier 2024, se réfugiant temporairement dans un environnement incertain. Depuis ce temps, il réside à l’étranger en raison de menaces sécuritaires sérieuses et persistantes, liées à ses déclarations sur les irrégularités qu’il a observées lors des élections présidentielles et des gouverneurs du 14 janvier.
La famille de Me Abdou a vécu dans un climat de crainte et de psychose, principalement en raison de la surveillance militaire exercée sur leur domicile cherchant à obtenir des informations et des documents sur la localisation de Me Abdou. Ces actes de surveillance se déroulaient principalement durant la nuit, créant une atmosphère d’insécurité permanente.
Après son départ des Comores, Me Abdou a accordé des interviews à divers journaux, dont Le Figaro, et a tenu une conférence de presse sur la chaîne libre des Comores, où il a fourni des détails sur les irrégularités qu’il a perçues. Cette exposition médiatique a rendu la situation plus grave pour sa famille. La famille soupçonnait que leurs communications aient été mises sur écoute, et le domicile familial a fait l’objet de multiples intrusions nocturnes inattendues, suivies de fouilles sans préavis.
En outre, la famille a été confrontée à des appels anonymes, contenant des messages intimidants et menaçants, contribuant à une pression psychologique. D’autres formes de persécutions se sont également manifestées, y compris la réception de lettres anonymes, déposées sous la porte du domicile. L’épouse de Me Abdou aurait échappé à deux tentatives d’enlèvement en plein jour à Moroni. Dans l’une des tentatives, des assaillants avaient arrêté un bus pour tenter de l’embarquer de force. Cependant, cette tentative a échoué en raison de l’attention tumultueuse du public environnant.
Selon les informations recueillies, en mars 2024, des démarches ont été entreprises pour arrêter Me Abdou, y compris, par des agents militaires et civils envoyés dans des pays extérieurs. Cela s’est produit après que son passeport diplomatique, qui lui avait été accordé dans le cadre de son rôle au sein de la CENI, ait été bloqué et annulé par les autorités.
PRÉOCCUPATIONS
Nous sommes préoccupées par les informations fournies décrivant le harcèlement, les menaces et les tentatives d’arrestation dont Me Gérard Youssouf Abdou a fait l’objet en raison de l’exercice de son travail en tant que membre de la CENI, ainsi que de la dénonciation de ce qu’il a observé comme étant des irrégularités des élections Présidentielles et des Gouverneurs du 14 janvier 2024. Ces allégations indiquent que Me Abdou a été ciblé et harcelé en raison de l’exercice de son droit à la liberté d’expression, en dénonçant des irrégularités présumées. Nous sommes préoccupées par l’effet dissuasif et inhibiteur que ce cas est susceptible de déclencher pour d’autres défenseurs des droits de l’homme et lanceurs d’alerte dans le pays.
Nous sommes également très préoccupées par les intimidations et le harcèlement dont ont été victimes les membres de sa famille lors de la tentative supposée de localiser Me Abdou à l’étranger, ce qui constituerait un cas grave de répression transnationale.