Ce qui suit est basé sur une communication écrite par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains et un autre expert des Nations Unies et transmise au gouvernement de la Guinée le 7 mars 2023. La communication est restée confidentielle durant 60 jours afin de permettre au Gouvernement de répondre. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas répondu dans ce délai. Si une réponse est reçue, elle sera publiée dans la base de données des procédures spéciales des Nations Unies.
Mise à jour du 11 mai 2023: les défenseurs Mamadou Billo Bah, Oumar Sylla et Ibrahima Diallo ont été libérés le 10 mai dans la soirée, après respectivement 3 et 10 mois de détention.
Ce qui suit est une version écourtée de la communication originale.
CONTEXTE
Sujets : allégations de détention arbitraire et de mauvais traitement du défenseur des droits de l’homme M. Mamadou Billo Bah ; actes d’intimidation et de persécution envers les défenseurs des droits de l’homme M. Saikou Yaya Diallo et M. Mouloukou Souleymane Touré.
M. Mamadou Billo Bah est défenseur des droits de l’homme, coordinateur de la mobilisation du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et chargé du pôle Jeunes de l’organisation Tournons La Page (TLP) en Guinée. M. Saikou Yaya Diallo est défenseur des droits de l’homme et responsable juridique du FNDC, au sein duquel il est chargé de documenter les cas de violations graves en matière de droits humains et d’accompagner les victimes dans leur quête de justice. Il a dirigé également le Centre guinéen pour la promotion et la protection des droits humains (CPDH) entre 2013 et 2020. M. Mouloukou Souleymane Touré est un défenseur des droits humains, conseiller de la coordination nationale du FNDC et membre actif du CPDH.
Tournons La Page est un mouvement qui promeut les processus démocratiques et la participation citoyenne. L’organisation est active dans 10 pays africains et défend la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Elle mène principalement ses activités de plaidoyer par le biais de manifestations, de campagnes et de débats publics.
Le Centre guinéen pour la promotion et la protection des droits humains (CPDH) est une organisation de la société civile guinéenne créée en 2009 et basée à Conakry. Les activités du CDPH comprennent notamment la documentation de cas de violations des droits de l’homme, la rédaction de rapports aux organes des Nations Unies, la sensibilisation auprès des écoles et universités ainsi que le renforcement des capacités de la société civile.
Le FNDC est un mouvement citoyen fondé en 2019 visant à protester contre l’amendement ou l’adoption d’une nouvelle constitution permettant à l’ex-président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat présidentiel. Il rassemble des associations et organisations de la société civile, des partis politiques et des syndicats. Le 30 juillet 2022, un mandat d’arrêt aurait été lancé contre l’ensemble des responsables du FNDC. Quelques jours plus tard, un arrêté ministériel annonçait la dissolution du FNDC, le qualifiant de « groupement de fait » – une décision dont les membres du FNDC réfutent les fondements légaux.
Mamadou Billo Bah est le troisième membre de l’organisation Tournons la Page en Guinée et du FNDC à être détenu depuis l’été dernier. Les défenseurs des droits humains MM. Oumar Sylla alias Foniké Mangué et Ibrahima Diallo sont détenus arbitrairement depuis le 30 juillet 2022 à Conakry. Ils ont fait l’objet d’une communication précédente, envoyée le 12 octobre 2022.
ALLÉGATIONS
Depuis mai 2022, la Guinée se trouverait dans un contexte de tensions, générant une pression envers les organisations de la société civile et affectant l’espace de travail des défenseurs des droits de l’homme. Cette situation se serait aggravée pour les défenseurs Mamadou Billo Bah, Saikou Yaya Diallo et Mouloukou Souleymane suite à l’arrestation de Oumar Diallo alias Foniké Mangué et Ibrahima Diallo le 30 juillet 2022. Mouloukou Souleymane Touré aurait fait l’objet d’une tentative d’arrestation lors de cet incident.
Les mois ayant suivi, les trois défenseurs auraient fait l’objet d’actes d’intimidations et auraient vécu sous la menace d’une arrestation. Le défenseur Mamadou Billo Bah aurait tout de même poursuivi son activité au sein du FNDC. Cependant, cela aurait amené le défenseur Mouloukou Souleymane Touré à devoir vivre dans la clandestinité, et le défenseur Saikou Yaya Diallo à sortir du pays, alors que les menaces et la surveillance se seraient intensifiés à la suite de sa participation à une conférence internationale les 28 et 29 octobre 2022, durant laquelle il aurait dénoncé l’usage d’armes létales par les autorités guinéennes sur les manifestants durant des rassemblements et manifestations pacifiques.
Le 21 janvier 2023, les défenseurs Mamadou Billo Bah et Mouloukou Souleymane auraient participé à une réunion du FNDC dans le quartier de Tombolia, à Conakry. A la suite de cette réunion, les défenseurs se seraient séparés et Mamadou Billo Bah aurait été arrêté alors qu’il se trouvait en voiture par des membres des forces de sécurité lourdement armés, sans qu’aucun mandat d’arrêt ne soit présenté. Cette arrestation aurait eu lieu dans la soirée. M. Bah aurait été détenu au secret sans accès à un avocat ni à sa famille durant deux jours.
Le 23 janvier 2023, son avocat a pu entrer en contact avec Mamadou Billo Bah pour la première fois depuis son arrestation. Le défenseur des droits humains lui aurait confié souffrir de douleurs et de difficultés à respirer à la suite de coups portés à son bas-ventre et ses côtes lors de son arrestation. A la demande de son avocat, le défenseur aurait été transporté d’urgence à l’hôpital où des examens médicaux, dont une radio, auraient été réalisés. Contre l’avis des médecins, M. Bah aurait ensuite été conduit à la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale, où il aurait passé la nuit.
Le 24 janvier 2023, Mamadou Billo Bah aurait été présenté devant le Tribunal de première instance de Dixinn et inculpé pour « participation à une manifestation délictueuse », « coups et blessures volontaires », « destruction de biens privés et publics » et « complicité pour tous ces faits précités ». Il serait depuis détenu à la Maison centrale de Conakry.
Depuis lors, la situation des défenseurs des droits de l’homme Saikou Yaya Diallo et Mouloukou Souleymane Touré se seraient aggravée, où le niveau de persécution, surveillance et intimidation aurait augmenté. Leurs communications seraient surveillées et leurs téléphones tracés. Tous deux sont contraints de continuer d’être loin de leur domicile et famille et de vivre en clandestinité. Le domicile de M. Touré aurait également été placé sous surveillance physique, opérée par des agents en civil.
PRÉOCCUPATIONS
Dans cette communication, nous exprimons de graves préoccupations quant aux allégations d’arrestation, de détention arbitraire et de mauvais traitements à l’encontre de M. Mamadou Billo Bah, ainsi qu’aux allégations de surveillance et d’intimidation à l’encontre de MM. Saikou Yaya Diallo et Mouloukou Souleymane Touré.
Nous sommes également préoccupés par le fait que l’arrestation arbitraire de M. Mamadou Billo Bah, qui fait suite à celles de MM. Oumar Sylla et Ibrahima Diallo, pourrait avoir un effet dissuasif sur les individus et défenseurs des droits de l’homme qui souhaiteraient s’exprimer, manifester pacifiquement, se réunir et participer à la vie publique et politique en Guinée.